Les Chiennes savantes par Aleth
Quand on entend le nom Virginie Despentes, les premiers mots qui montent à l'esprit sont souvent ceux ci : « Baise-moi ». On a soit lu le roman, soit vu le film, voir les deux. Rares sont ceux qui n'en ont jamais entendu parler au vu du petit scandale qu'ils ont suscité l'un et l'autre à leur sortie. Il faut dire que pour un premier roman, la demoiselle y était allée franco. Les crimes sordides s'enchaînaient au fil des pages, nous enserrant la gorge d'une bulle d'angoisse prête à éclater. Après avoir reposé « Baise-moi », j'ai toujours ce désir mêlé de crainte d'enfin me replonger dans l'univers de cet écrivain. C'est chose faite avec son deuxième roman, paru en 1995, « Les chiennes savantes ».
Court. Dense. Puissant. Cruel. Incompréhensible. Sordide. Glaçant. Violent
Virginie Despentes nous lance aux yeux sans préambule l'univers du sexe, de la drogue, de la prostitution, du glauque. Elle n'y met pas les manières, seulement la forme. Les mots claquent, brûlent, sont acides. A n'en plus savoir, à n'en plus pouvoir, à toujours en vouloir malgré tout. Le rythme est soutenu, pas le temps de digérer une horreur qu'une autre nous saute au visage, les visages, les noms, les lieux défilent à nous en donner le tournis.
Louise travaille dans un Peep Show et annonce tout de go que ce qui est dégueulasse en ce monde, c'est d'avoir à travailler. Pas d'avoir à exercer ce travail en particulier. Louise, elle a une carapace que rien ne semble briser, mais à demi seulement. Si l'on creuse un peu, on sent la faille, on s'y engouffre. Louise, son histoire sent le souffre. Louise est un paradoxe à elle seule. Aussi ancrée qu'elle soit dans un univers sordide du spectacle érotico-glauque, elle n'en a pas moins peur des hommes, de leur proximité. Quand elle l'évoque, on s'imagine une cambrure, un rejet violent. Plus que tout, comme elle l'assène, elle se tient éloignée du foutre. Elle danse, elle se caresse, elle se laisse insulter, elle en redemande, son métier lui plaît. Ses gémissements ne sont pas toujours feints, fait qui dérange. Une glace la protège, la seule chaleur masculine qu'elle n'ait jamais connu, tendre et sereine, c'est celle de son frère.
Ce dont il n'osait même pas parler, parce que ça lui faisait honte tellement il trouvait ça dégradant, c'était que j'aimais ça, et que ça crevait les yeux. Me renverser contre le mur, me faire voir et regarder faire le type à travers mes paupières mi-closes, l'écouter me parler sale, et le sentir si près que je pouvais l'entendre respirer et son envie à lui se mêler à la mienne et me faire quelque chose...
Jusqu'au jour où... Mauvais endroit, mauvais moment. Il aura suffi d'une fois. L'espace semble se rétrécir, et l'on assiste en silence à un viol. Le sien.
J'ai senti le truc céder en moi, la peur saisissante me grimper le long des flancs, s'enrouler dedans et je l'ai repoussé avec toute la force tressée à la terreur, parce que je ne pouvais pas supporter qu'il soit contre moi...
Les coups de butoir, on les sent. La douleur, on l'imagine, les doigts crispés sur les pages. La mort, on l'espère avec elle. Inconcevable, pourtant, cette violence qui lui ouvre le ventre, va l'amener à la vie. Et Louise d'en redemander, d'entrer dans tout ce que la passion a de plus destructeur. Plus rien ne compte d'autre qu'être une chose, un objet de désir, un jouet sexuel, l'esprit remisé au placard, le bon sens oublié, pour les yeux d'un homme singulièrement vicieux. Il ne reste plus qu'à observer Louise entrer dans la folie pure.
Suivons-là.
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