L’écriture oscille entre le moyen (au hasard « La ville devint la deuxième destination, après Las Vegas, des drogués de la roulette », p. 74) et le douteux (« Un silence empli d’ailleurs et d’une autre existence caressa l’imagination des deux inspecteurs », p. 168), ressemblant dans le pire des cas à la prose d’un traducteur incompétent et qui aurait voulu faire son malin (« Sarah supposa une fuite direction le Canada ou le Québec, plus proche », p. 119). C’est parfois si ampoulé que c’en devient ridicule (« La souffrance qui transpirait de chaque pore de sa peau suintait cependant une infection contractée depuis l’enfance. », p. 278) ; d’autres fois, c’est juste grotesque (« Elle l’observa avaler les cigarettes », p. 135). Le style des Chiens de Détroit ferait passer les plus belles pages d’Auto-moto pour de la poésie – alors que l’auteur semble accorder beaucoup d’importance aux mots : il y a quand même un moment où il insiste sur le fait que deux personnages se tutoient pour la première fois, alors qu’ils sont censés parler anglais…
Si l’intrigue est assez prenante sur le coup (dans le feu de la lecture ?), elle est aussi suffisamment alambiquée pour que deux semaines après avoir lu les Chiens de Détroit, on ne s’en souvienne que dans les détails : elle se passe à Détroit et on y trouve des chiens. Le tout saupoudré de quelques motifs qui font bien dans une enquête policière mâtinée de thriller psychologique noir : traumatismes d’enfance resurgis, ville-organisme (l’auteur insiste toutes les deux pages sur la décrépitude de Détroit, comme si on n’avait pas compris), récriminations apolitiques contre les méchants gouvernants…
C’est que les clichés n’épargnent pas le récit, loin de là. Ce qui permet aux enquêteurs de quitter la semoule dans laquelle ils pataugeaient ? Un détail familial auquel personne n’avait pensé et qui finit par conditionner toute l’enquête. Les personnages ? Deux enquêteurs borderline mangés par leurs vieux démons – chacun à sa manière : un divorcé alcoolique, une célibataire plus que névrosée – et qui apprennent petit à petit à se connaître, un supérieur hiérarchique qui ne veut pas se mouiller, un meurtrier qui est aussi une victime terrifiante du mal. Leur psychologie ? Elle ferait passer les pages « Courrier du cœur » d’Elle pour des chefs-d’œuvre de subtilité et de perspicacité…
À la rigueur, il y a une trouvaille intéressante dans la construction du roman : commencer par l’épisode qui précède immédiatement la conclusion, placer ensuite sous forme de flash-backs tout ce qui a précédé, revenir à l’épisode initial (le chapitre 35 reprend des passages entiers du chapitre 1, et c’est plutôt bien trouvé) et enfin conclure. Dommage que trop de passages sentent le délayage, comme si écrire trois cents pages constituaient un but en soi, et que l’auteur ait jugé bon d’indiquer le jour et l’heure au début de chaque chapitre, histoire que le lecteur comprenne bien.
Manifestement, le livre fait partie de ceux qui cherchent à concurrencer les séries policières, et c’est peut-être du point de vue de la construction qu’il garde ce qu’on y trouve de mieux. Mais pourquoi ? Pourquoi chercher à concurrencer les séries policières quand on entend produire une œuvre littéraire ?