Incontournable Février 2024
J'ai été impressionnée par ce roman, qui me rappelle le monde à la fois surprenant et effrayant de Coraline, tout en ayant une forte dimension psychologique et féministe. Il y a un travail autours des personnages féminins que j'ai affectionné tout du long et ces "maisons" étaient fascinantes chacune à leur manière. Avec tout l'engouement pour les romans effrayants et la magie de toutes sortes en ce moment, je n'ai pas de mal à imaginer de nombreuses lectrices et de nombreux lecteurs adopter cette série.
Port-la-trouille porte bien son nom, en sa qualité de septième ville la plus hantée des états-unis. Si on ne s'y étonne pas trop de certaines manifestations surnaturelles, ces derniers temps, on s'inquiète d'un lieu en particulier, un ancien abattoir, dont l'un des trois frères à son origine était un meurtrier en série. Dans de tels cas, les habitants vont consulter la tante d'Evie, Desdemona ( "D" pour sa nièce). La récente orpheline adore sa tante et quand celle-ci disparait dans ce vieil abattoir sinistre, Evie se retrouve face à l'entité qui a prit possession des lieux, le Clackity. Il parle à la 1ere personne du pluriel, promet de "bons et juste marchés" bien louches et son sourire carnassier est aussi lugubre que son oeil aveugle cousu de fil. Protégée d'un allier inopiné, un oiseau qui s'est tatoué sur peau, la jeune fille se voit confier la mission d'entrer dans un monde étrange au ciel mauve et au soleil noir, pour ramener sa tante, certes, mais surtout de ramener ce que le Clackity appelle "L'homme-veau-vache-cochon. Dans ce monde étrange, elle devra visiter sept maisons, toutes plus différentes et troublantes les unes que les autres, avec sur les talons un être impitoyable et sur son chemin de nombreux personnages pour la guider ou la soutenir.
Evie était à peine esquissé dans son histoire que je l'aimais déjà. Déjà, son apparence est sympathique: cheveux longs rasés à la base du crâne et derrière les oreilles, yeux fardés de noir, chaine au cou, vêtements confortables noirs, elle a un style un peu "rock gothique" que je ne vois pratiquement jamais. Surtout, elle est une vraie incarnation de la force chez un humain, qui ne se caractérise pas en version mâle et brutale comme semblent le penser les autrices de certains romans, mais une jeune femme qui a un réel courage, qui lute contre sa peur, affronte ses démons et fait tout cela au nom de ceux qu'elle aime sincèrement. Wouah! Ça c'est une fille forte! Elle a également l'humilité de savoir demander de l'aide quand il le faut, fait preuve de compassion envers autrui et sait défendre ses valeurs. Et double bonus, on a pas eu l'idée de lui coller un gars pour la défendre ou pire, un garçon pour occuper son coeur ( pour une fois). J'adore qu'elle occupe l'espace narratif ainsi, nullement gênée par les clichés qu'on accole trop souvent aux personnages féminins. Mieux encore, la vaste majorité des personnages sont des personnages supportaires sont féminins.
Trois soeurs un peu sorcières sur les angles, chacune d'une couleur différente, dont les prénoms restent secrets, sont au nombre de ces personnages. Elles apparaissent dans la seconde maison, et elles confient trois présents à Evie pour sa quête, comme des version un peu glauques des fées marraines dans la Belle au bois dormant, mais loin d'être de stupides artifices superficiels, ces cadeaux auront plutôt des vocations d'aide.
Dans les autres personnages phares, notons la très charmante tante D, avec qui Evie semble se faire entendre et comprendre, ce qui dénote une relation très saine et très sincère. Il y a quelque chose de touchant dans ce portrait de femmes, peut-être parce que j'ai tant vu de tantes et de marâtres épouvantables, jalouses et stupides, que de voir tout l'inverse me rassure. Il est bon de sortir de toute cette mouise de rivalité malsaine entre femmes, surtout quand il s'agit d'adresser la restructuration familiale. Après tout, Evie n'a plus que se tante et celle-ci endosse son rôle de tutrice avec sérieux. C'est également un contraste étonnant dans un univers sombre que de voir autant de bienveillance. J,y reviendrai.
À partir d'ici, il y aura quelques [ sombres ] petits divulgâches.
J'ai trouvé cet univers riche et beaucoup plus profond qu'il en a l'air à priori. Ce qui devait s'orienter comme une quête initiatique prend une tournure de thérapie, comme si à la lumière des évènements vécus, notre héroïne ne faisait pas que grandir en surmontant les difficultés, mais en faisant une part du processus de deuil avec son passé et sa situation. Elle affronte des éléments difficiles de son passé, surtout la disparition de ses parents. Evie va d'ailleurs l'avoir en pleine dent: La première maison à visiter n'est nul autre que sa maison, qui va brûler une seconde fois alors qu'elle s'y trouve. C'est ce qui s'appelle une plongée directe en plein trauma! ET ce n'est que la première maison...
Ces maisons sont fascinantes, tellement variées, c'était inattendu également. Certaines sont à peine des "maisons" et si certaines étonnent, d'autres sont carrément flippantes. Il y avait quelque chose de profondément évocateur dans le fait que si l'original déstabilise, ce sont les trucs "normaux" qui sont choquants, comme cette maison tout-à-fait banale qui recèle un sombre secret qui n'est pas étranger à cet homme-veau-vache-cochon. C'était habile de la part de l'autrice et me rappelle certains romand e Stephen King qui jouaient avec cette "normalité" horrifiante.
Le clackity est un drôle de spécimen, ambigu, sournois et présent de manière dérangeante, comme un parasite à patte. Son oeil cousu et son sourire narquois reviennent sur certains habitants du monde au soleil noir, ce que remarque Evie, bien sur. Son intérêt pour l'homme-veau-vache-cochon est encore un peu nébuleux, même après lecture. Mon impression est qu'il n'aimait pas la présence de cet être perfide dans ce monde, mais le fond du fond est peu clair. Ça m'amusait quand même de voir un antagoniste détester un autre antagoniste et sa façon d'être est peut-être malaisante, il n'a pas non plus nuit clairement à Evie. Je trouve les antagonistes ambigus bien plus intéressantes que les gros méchants, parce qu'ils sont plus nuancés et imprévisibles. Et l'incertitude me semble bien plus effrayante qu'un Mal connu. J'ai vécu une micro-déception face au roman quand j'ai comprit que, contrairement à la couverture, ce n'était pas le Clackity le narrateur. Avoir un bâtiment maléfique comme personnage principal, qui plus est aussi charismatique, m'aurait plu. Mai bon, je me console avec Evie, superbe personnage elle aussi.
Le claire côtoie le noir, il y a des jeux d'ombres dans les personnages, entre les apparences et les personnalités, les lieux et les impressions. Je disais que la bienveillance est fortement présente dans le livre, la force morale et la solidarité également. C'est un bel exemple d'histoire qui utilise la noirceur et les éléments traditionnellement effrayants pour orienter un message d'espoir et de bienveillance. J'ai vu l'inverse également, des romans en apparence lumineux et légers orienter des messages malsains et promouvoir des amours toxiques. Comme quoi, il faut se méfier des apparences, même dans la fiction. Les messages qu'on y trouve sont parfois en contradiction avec le registre...ou alors on utilise le registre pour donner plus de force au message. Ici, c'est un monde sinistre et en apprenne effrayant, mais étonnamment, il y a du bon dans ce monde-là. Et puis, quoi de mieux que le noir et les ombres pour mettre en valeur la lumière?
Cette histoire de pennies sur les yeux m'auront évoqué les rites de certaines nations sur leurs défunts, pour payer leur passage dans l'Autre monde, et certaines créatures me rappellent les monstres de certains folklores bien plus que les créatures fantastiques un peu édulcorées des temps modernes.
J'adore le travail de l'illustrateur. La couverture est géniale, dans le ton, de même que la 4e avec ce clackity et son sourire machiavélique. Il y en a également dans le roman.
C'est vraiment une curieuse chose que ce roman noir et ténébreux rempli de beaux personnages et d'éléments fascinants, comme le sont les quelques "Ténébreux Sympathiques" que j'ai eu la chance de trouver ces dernières années, mais ce roman-ci ne se contente pas d'inverser ombre et lumière, il s'attarde aux nuances entre les deux et joue davantage sur le côté "thriller" que les autres. Avec son intense charge émotive dans certains passages et l'urgence de trouver la septième maison, on est happé par cet univers comme une vague sombre sous le couvert de la nuit. Il y a quelque chose d'attractif également dans la plume de l'autrice, dont on ne peut que constater son intérêt pour ce genre de monde et le registre épouvante.
Je trépigne un peu d'impatience de montrer ce roman à mes profs en librairie et je sais déjà quel roman sera ma petite vedette pour Halloween cette année! Une petite vedette aussi sombre que le chocolat noir, mais dont les notes chaleureuses et addictives évoquent le chocolat chaud à la citrouille épicée.
Vivement l'automne!
Pour un lectorat intermédiaire du troisième cycle primaire, 10-12 ans+