Isabel allende, écrivain chilien, aura voyagé et vivra longuement au Venezuela suite au coup d'Etat de Pinochet en 1973. Elle commence sa carrière d'écriture par des contes et des émissions pour enfants dont certains de ses livres s'adressent particulièrement à ce public, travaille ensuite pour des magazines et côtoie le théatre. Son livre le plus connu "la maison aux esprits" 1982, à donné lieu à un long métrage de Bille august, en 1993. L'ambiance familiale où l'homme domine, teintée de fantastique révélait déjà le talent et les thèmes futurs d'Allende.


Les contes d'Eva Luna (1991), font suite au roman Eva luna (1987) où l'héroïne, conteuse, se servait de ses talents pour nous raconter des histoires particulièrement colorées pleines d'aventures et de rebondissements parfois bien farrfelus, à l'instar de Schéhérazade. La narration foisonnante de personnages hauts en couleur, en décalage, mêlant le drame aux situations rocambolesques, d'émotions exacerbées aux décisions radicales.
On retrouve la verve des auteurs chiliens, le sens de l'évocation et leur capacité à mettre en images par une écriture ciselée, fluide et des métaphores bien choisies, les vies souvent miséreuses des villageois, où pourtant la joie et la simplicité, font partie intégrante de ce peuple soumis à l'adversité.
La littérature chilienne joue du flou dans ses lieux et ses époques et nous transporte bien plus volontiers dans des atmosphères qui flirtent avec la magie... A l'instar de G G Marquez ou de Luis Sepulveda, mais qui n'en oublie pas de nous rappeler à la réalité.


Voici donc ces contes sous forme de 23 nouvelles ayant pour thème, la femme et sa liberté, la féminité, la sensualité, la prostitution, la mort, et le deuil mais aussi la force et la volonté des femmes à qui Isabel Allende rend souvent hommage.
Entre poésie et noirceur, tragédie et burlesque, les personnages se font les nouveaux héros contre l'oppression quelle qu'elle soit. Parfois violente ou baroque, mais toujours passionnée, l'ambiance est propre à nous faire voyager au gré des pages avec humour, optimisme et humanité.


La nouvelle "bouche de crapaud" en ce sens est une petite merveille d'ironie, d'amour et de volonté. Nous sommes en Patagonie sur la Terre de Feu, au sud du Chili. Hermelinda a découvert « l'art et la manière de s'assurer du bénéfice sans tromper son monde » en inventant des jeux érotiques.



" Au jeu du Crapaud, un homme pouvait perdre en un quart d'heure sa paie du mois. Hermelinda traçait à la craie un trait sur le sol, puis quatre pas plus loin, un grand cercle à l'intérieur duquel elle s'étendait, genoux écartés ses jambes mordorées par l'éclat des lampes à eau-de-vie. Se laissait voir alors le sombre centre de gravité de son corps, ouvert comme un fruit mûr, semblable à une souriante bouche de crapaud, tandis que l'air de la pièce se faisait lourd et torride. Les joueurs se plaçaient derrière la marque tracée à la craie et c'était à qui viserait dans le mille. Certains étaient des tireurs d'élite, mais Hermelinda avait une telle façon d'ésquiver, d'escamoter son corps sans en avoir l'air, qu'au tout dernier moment la pièce de monnaie deviait de sa trajectoire. Toutes celles qui échouaient à l'intérieur du cercle de craie revenaient à la femme. Si l'une d'entre elles venait à passer la porte, elle valait à son heureux propriétaire le trésor du Sultan. Deux heures de réjouissance complètes derrière le rideau. A l'époque elle avait amassé une petite fortune, mais l'idée de se retirer pour mener une existence plus conventionnelle ne l'avait pas effleuré, son métier lui donnait en fait beaucoup de satisfaction et elle tirait fierté de ces étincelles de félicité dont elle gratifiait les journaliers.



"de bout nous sommes faits"



On vit la tête de la fillette au ras de la coulée de boue, les yeux grands ouverts, appelant sans voix. Elle portait un prénom de communion solennelle, Azucena (Lys blanc). Au milieu de cet immense cimetière vers lequel l'odeur de mort faisait converger du plus loin les vautours, ou l'air était rempli des pleurs d'orphelins et des gémissements de blessés, cette gamine obstinée à survivre devint la figure emblématique de la tragédie. Les caméras diffusèrent à tant de reprises l'insupportable vision de sa tête émergeant de la glaise comme une sombre calebasse qu'il ne trouva plus personne pour ignorer son existence et son nom.



Ce récit secoue par le drame. Il est tiré de la tragédie de 1985 de cette enfant colombienne, Omayra Sánchez, emprisonnée sous des décombres. D'autant plus marquante qu'en lisant on se remémore les scènes d'horreurs, l'inactivité du gouvernement et l'impuissance de tous.


Toute la richesse d'écriture d'Isabel Allende se trouvera dans ces nouvelles pour une belle découverte.

limma
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le 27 févr. 2017

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