Cendre et or.
En septembre 1900, alors que se termine la révolte des Boxers, Pierre Loti arrive sur un cuirassé français qui se joint à l'impressionnante escadre occidentale qui pose l'ancre en baie de Tianjin. Il...
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le 10 sept. 2021
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En septembre 1900, alors que se termine la révolte des Boxers, Pierre Loti arrive sur un cuirassé français qui se joint à l'impressionnante escadre occidentale qui pose l'ancre en baie de Tianjin. Il obtient, avant que l'hiver ne se déclare complétement, un détachement afin de visiter la cité interdite, à une centaine de kms au nord. Il visite autant de vestiges qu'il peut, au milieu des ruines et de la désolation de la guerre, s'abritant avec certaines troupes françaises dans l'ancien pavillon de l'impératrice. Il est conscient d'avoir accès à des chefs d'oeuvre de culture chinoise qui étaient auparavant complétement interdits d'accès aux Occidentaux, même s'il voit ces vestiges dans l'état dans lesquels les ont laissé les combats et les pillages qui ont suivi. Il obtient, en avril, de revenir à Pékin pour une raison protocolaire et trouve une ville qui a retrouvé de la vie, mais a perdu tout lustre, les anciens bâtiments imposants sombrant progressivement dans l'abandon. Il fait une escapade au nord voir les tombeaux des empereurs mandchous, et aide le capitaine Marchand (le héros de Fachoda) à organiser une fête, avant de repartir. Le journal s'arrête début mai 1901.
L'ouvrage est un recueil d'une série d'articles feuilletonants que Loti fit publier, mais il a dû être retravaillé, car on y trouve une certaine unité, avec un effet de clôture. Le début est une découverte, à la fois progressive et par à-coups, de la Chine, que Loti connaît surtout, comme beaucoup à l'époque, par les paravents et les brocantes orientalistes qu'il a pu voir en Europe. Au sentiment grandiose que ressent Loti en mer jaune, avec la démonstration de la force navale européenne, fait rapidement place l'impression d'avancer au milieu d'un cauchemar. La voie ferrée vers Pékin ayant été coupée, il faut remonter une rivière avec un bateau que hâlent des coolies, et cheminer comme on peut dans un pays où l'eau est contaminée par les cadavres que se disputent les corbeaux et les chiens. C'est une société complétement déstructurée que voit Loti, avec ses pillards, ses aristocrates déclassés, ses maisons détruites, ses palais jonchés de vaisselle brisée et d'ordure. Les impressions qui reviennent régulièrement sont celles insistant sur la cendre, la poussière, les objets brisés et les cadavres.
Cheminant dans Pékin, sans en comprendre les symboles, il est fasciné par le raffinement des objets et des bâtiments qu'il voit. Son impression de la Cité Interdite est celle d'un bois sacré, miraculeusement aménagé au milieu d'une steppe aride. Il déplore le vandalisme des troupes, mais ne s'interdit pas de revêtir pour s'amuser des vêtements de dignitaire chinois (l'édition Magellan que j'ai utilisée en montre une photo). Il voit le cadavre encore chaud d'une civilisation qui vient d'être assassinée, et en cela, son ouvrage est particulièrement original.
Loti insiste sur l'impression de voir une civilisation entièrement détruite, les références à la Mésopotamie, notamment Babylone, émaillant son manuscrit. Pour autant, l'usage de la force par les Européens est montré davantage comme une fatalité que comme un acte de barbarie. Il faut dire que la répression de la révolte a surtout été le fait des Anglais, des Russes et des Allemands, et Loti insiste à de nombreuses reprises sur l'humanité et la popularité des troupes françaises auprès des populations. Il décrit également avec beaucoup d'empathie le sort de la communauté chrétienne qui a vécu plusieurs mois retranchée dans Pékin face aux assauts des Boxers (en insistant sur les tortures raffinées de ces derniers et leurs exactions). Il éprouve une sorte de fascination pour l'évêque de Pékin, acharné dans son oeuvre missionnaire. Si Loti est capable de compatir avec ce que doivent vivre les Chinois (il s'étonne même de leur soumission), je ne m'attendais pas, à propos d'une messe de chrétiens chinois, à ce qu'il relève "une intolérable odeur de race jaune qui ne se peut définir" (p. 235).
Les derniers jours de Pékin commence comme un récit d'aventure dans un pays en plein chaos alors que les cendres d'une âpre bataille sont encore chaudes. Il continue comme une excursion archéologique dans les décombres d'une civilisation qui vient de s'effondrer. L'ouvrage combine à la fois des tableaux et des compte-rendus intenses, dont on peut déplorer qu'ils n'aient pu être complétés par une connaissance plus approfondie de la part de l'auteur. Mais en un sens, cela garantit une forme de fraîcheur.
Créée
le 10 sept. 2021
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