Les Deux Tours
8.3
Les Deux Tours

livre de J.R.R. Tolkien (1954)

« Les chants, comme les arbres, portent leurs fruits en leur temps, à leur façon »

Alors que la Communauté de l’anneau fut un succès phénoménal et a été conçu dès l’origine pour se poursuivre, le seigneur des anneaux devant être initialement un seul roman qui a été finalement coupé en 3 tellement il était devenu dense, l’arrivée des Deux Tours en librairie était donc inéluctable. Étant la suite directe de la communauté de l’anneau, je vais spoiler ce récit sans y prêter attention mais ce sont seulement les spoils de ce précédent récit que je considérerais comme tels.


Un premier choix notable pour cette suite sera la séparation de l’intrigue en deux grandes parties narrées l’une après l’autre, suite au dispersement géographique des protagonistes. D’une part, ça permet d’opposer deux intrigues qui peuvent se permettre d’être assez différentes l’une de l’autre en terme de thématique, de rythme... sans prendre le risque qu’elles se gênent mutuellement. D’autre part, ça permet d’assurer la lisibilité qui n’évoquera jamais trop de personnages et d’événements simultanément au risque de perdre le lecteur. C’est un choix un peu facile certes, puisqu’il permet de contourner tous ces défis aisément, mais au moins à l’efficacité garantie.


Il aurait sans doute été plus audacieux mais aussi plus difficile d’alterner entre le rythme posé du porteur de l’anneau et le rythme frénétique du gouffre de Helm, ce qui fait de ce choix de narration une force et une limite au potentiel du livre à mes yeux. De plus, avoir un rythme très soutenu en première partie et un rythme plus lent en deuxième est assez contre-intuitif pour moi, j’aurais peut-être préféré l’ordre inverse, mais ça c’est plus une réflexion personnelle secondaire. Une autre limite c’est le fait que les 2 grandes intrigues ne tirent pas spécialement profit à mon sens de cette narration en parallèle, étant plutôt indépendantes les unes des autres plutôt qu’interdépendantes la plupart du temps, mais c’est un exercice très difficile que de parvenir à un tel résultat et il reste justifié par l’éloignement géographique des personnages.


L’un des premiers éléments du récit que je n’ai pas trop aimé est un spoil majeur :

La mort de Boromir est passée sous ellipse dans un premier temps de l’ouvrage, ce qui entretient un suspens aboutissant à une révélation assez pitoyable, les conditions de sa mort étant loin d’être héroïques. Je ne suis vraiment pas sûr qu’une mort aussi expédiée et crue pour un personnage aussi important soit dans le ton du reste du récit. Des personnages meurent dans le seigneur des anneaux, aucun problème avec ça, bien au contraire, mais à partir du moment où ils sont importants leur mort ne manque pas de panache, ici elle est vraiment misérable et je trouve ça plutôt maladroit et dissonant dans cette trilogie.

Par contre, à côté de cet élément, la tension créée par le destin inconnu de Merry et de Pippin ainsi que la découverte du Rohan permettent de vite retrouver le sentiment d’aventure périlleuse comme opportunité d’abord un univers vaste aux multiples cultures, ce qui est déjà bien plus appréciable. Le royaume du Rohan et la forêt de Fangorn étendent donc assez bien cet univers de la Terre du Milieu, avec à la fois une civilisation humaine et non-humaine, sans éparpiller le récit puisque les intrigues qui nous amènent à les découvrir vont finir par se rejoindre et tout en intégrant de nouveaux personnages assez intéressants, une vraie réussite là encore.


Mais si cette structure ressemble un peu à celle du début de la communauté de l’anneau qui visait aussi à faire découvrir quelques cultures à travers une petite sélection de personnages, une grande différence se situe dans le rythme. Là où le premier récit prenait, un peu trop, son temps pour en venir à une action très succincte suivie d’un temps d’accalmie, là les événements de cette première moitié de récit s’enchaînent bien vite pour se conclure par des batailles de plus en plus épiques. Il est difficile de s’ennuyer dans ces moments mais je dirais même que nous sommes passés d’un extrême à l’autre et j’aurais presque préféré un meilleur compromis pour ce rythme effréné.

Un autre choix de scénario que je n’ai pas trop aimé est aussi un spoil majeur :

Le retour de Gandalf d’entre les morts est un Deus Ex Machina qui désacralise le moment culte de sa mort au précédent récit et le moment de cette révélation manque d’impact et de pertinence pour moi. J’ai vraiment l’impression qu’il revient du récit l’air de rien à un moment presque pris au hasard. Je force le trait mais c’est tout de même un petit peu comme ça que je l’ai ressenti et quittes à ramener Gandalf dans le récit, le faire revenir lors d’une situation plus critique aurait peut-être eu ma préférence. Mais il y a tout de même d’excellentes idées avec ce même personnage par la suite, comme son duel avec Saroumane par l’intermédiaire de Théoden, ça limite le problème.

Le message explicitement écologique qui découle de cette partie de l’intrigue est en revanche très bien amené, en parfaite cohérence avec l’univers et très pertinent pour une telle époque où l’écologie n’était que peu abordée dans les œuvres culturelles populaires. Cette personnification des arbres à travers les Ents, cette idée d’une civilisation naturelle bien plus ancienne que l’humanité l’observant et la jugeant dans l’ombre, cette rébellion implacable si l’écosystème n’est pas un tant soit peu respecté… c’est vraiment un cas d’école de comment transposer une réalité dans un récit de fantasy en gardant l’intelligence du propos et le dépaysement de sa forme.


Quant à la seconde partie du récit avec Frodo et Sam, celle-ci est beaucoup plus lente dans son rythme que la première. On retrouve un peu ce travers du premier ouvrage avec beaucoup de passages descriptifs pour ce qui n’a finalement pas d’intérêt immédiat pour le récit et qui provoque donc chez moi un certain ennui. Peut-être que c’est en partie du à la séparation de l’intrigue mentionnée plus tôt, mais je pense aussi que ces passages ne sont pas tous réussis et c’est tout de même regrettable quand on pense que c’est l’intrigue principale.


Mais tout n’est pas à jeter non plus dans cette partie, loin de là. Une excellente idée à mon sens c’est Frodo qui peut observer l’armée orque marcher sur le Condor pour se rappeler l’importance de sa mission tout en montrant une autre perspective des événements de l’autre partie de l’histoire. Il y a aussi des moments beaucoup plus prenants, comme le combat contre Araigne qui est particulièrement angoissant et épique avec un vrai travail de mystification de la menace et d’héroïsme puisant dans la fantaisie de son univers, l’un des meilleurs passages de la trilogie.


J’apprécie beaucoup également le personnage de Gollum qui est réellement très nuancé et les raisons pour lesquelles Frodo et Sam restent avec lui sont très bien pensées, l’évolution de leur relation, la confiance et la méfiance mutuelle qui les relient se construisent et déconstruisent de façon très cohérente. Un personnage avec une double personnalité ce n’est clairement pas le plus simple à gérer et je trouve qu’il l’est ici d’une main de maître et apporte énormément à la quête de Frodo et Sam qui repose beaucoup sur ce concept.


Malheureusement, leur périple aboutira à différentes rencontres et sur lesquelles je ne suis pas toujours convaincu. C’est notamment le cas de Faramir qui est tellement sage et bienveillant qu’il en devient infiniment lisse, dans un univers où il y a des elfes à la sagesse très clairement établie, ce n’était pas un choix très judicieux, je dirais même contre-productif sur certains aspects. Le pouvoir évocateur de l’anneau en est notamment réduit, l’Homme est valorisé de manière incontestable, sa relation avec Boromir sans grande importance… il y avait bien mieux à faire à mon sens.


J’ai préféré certaines thématiques, facettes de l’univers et moments d’aventure dans ce récit plutôt que dans le premier, mais j’y ai retrouvé aussi certains problèmes personnels avec quelques longs passages descriptifs m’ennuyant et aussi des nouveaux avec une narration coupée en deux parties peu travaillée à mon sens. Néanmoins, si je fais fi de quelques choix scénaristiques majeurs avec lesquels je ne suis pas trop d’accord, l’univers du seigneur des anneaux continuent de s’étendre avec efficacité par ce nouvel opus dont l’adaptation cinématographique par Peter Jackson sera ma préférée des 3.

damon8671
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le 18 juin 2022

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damon8671

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