Patricia Highsmith est une romancière de l'opacité, du simple fait qu'elle ne donne à voir l'intérieur que d'un seul personnage, face aux mystères des comportements des autres. Ses protagonistes sont, comme nous tous, condamnés à naviguer à vue entre les récifs constitués par les décisions des gens qui les entourent, et les poussent à réagir, souvent dans le mauvais sens. C'était le cas de la jeune Therese, dans The Price of Salt, face à l'impénétrable Carol, aux motivations toujours troubles pour elle, mais aussi du pauvre Walter, dans The Blunderer, condamné à prendre encore et encore la mauvaise décision à cause d'une interprétation hasardeuse des mouvements de ses vis-à-vis, assassin ou policier. Finalement, Les deux visages de janvier pourraient s'intituler Le gaffeur, lui aussi, puisque son héros, Rydal Keener, un jeune américain désœuvré installé en Grèce, n'en finit plus de faire n'importe quoi en cédant à la fascination qu'exerce sur lui un couple de compatriotes réfugiés en Europe pour échapper à une enquête de police sur les malversations de Chester, le mari. Parce que ces deux américains lui rappellent deux membres de sa famille et qu'il n'a jamais pu régler le contentieux qui l'opposait à celle-ci, il va s'obstiner à les coller, dans l'adversité, jusqu'à flirter dangereusement avec la faillite la plus complète, dans une étrange danse d'autoflagellation. Autant de motivations vraiment typiques des personnages étonnants de la reine du roman policier psychologique, très versée dans la dissection des travers humains. Au-delà de la bizarrerie des raisons qui poussent les héros à agir ou non, j'apprécie vraiment sa façon de donner à voir à travers la description incongrue de chaussures, d'objets ou de lieux, comme autant d'écho aux états mentaux perturbés des personnages. Une façon de procéder très particulière.