Je ne comptais pas particulièrement lire cette suite, car la dernière partie des Falsificateurs, et toute son intrigue interne au CFR, m’enthousiasmait un peu moins que les premiers pas de Sliv et la conception de ses premiers scénarios.
En effet, j’aime beaucoup l’aspect « orgie de fiction » du concept originel : on ne sait pas trop pourquoi le CFR existe, mais il modifie compulsivement le réel, parfois dans d’infimes proportions, et parfois plus audacieusement sur des sujets à portée mondiale. Et Sliv, le personnage principal, est un addict de la fiction, un scénariste maladif qui ne peut s’empêcher de prendre des risques dans le but d’atteindre le rêve du romancier : brouiller complètement les pistes entre le faux et le vrai.
Malheureusement, et je m’en doutais, les Éclaireurs est le prolongement absolu de la fin du 1er tome. Exit les scénarios fantaisistes, bonjour les « grands questionnements politiques ». Et autant le dire tout de suite, je ne trouve pas que cela vole bien haut dans le ciel des idées.
Alors oui, le livre offre une rétrospective très approfondie, et intéressante, de l’escalade vers la guerre après le 11/09. Il rentre dans les rouages de la politique américaine, et balaie intelligemment toute motivation complotiste, ce qui est particulièrement bien vu, compte tenu du point de départ du livre (organisation secrète, tout ça tout ça). Le CFR a joué avec des allumettes en créant Al Quaida, mais la poudrière était déjà bien installée, en gros.
Alors c’est très bien, on passe en revue les preuves en carton brandies par la CIA pour envahir l’Irak, mais la fiction dans tout ça ?? Le récit démarre pourtant tambour battant avec l’intrigue timoraise qui est assez pittoresque et vraiment plaisante à suivre. Mais ensuite, eh bien j’ai eu un peu l’impression de lire un dossier journalistique sur les 2/3 du roman.
Côté fiction, on ne s’occupe plus que des fameuses intrigues internes du CFR, de son Comex et de sa fameuse « finalité ». Moi, j’aimais bien le fait qu’il n’y en ait pas. Alors je devrais être satisfait non ? Ben pas vraiment.
Parce que les raisons invoquées ici sont que les volontés du Seigneur doivent rester impénétrables, et que personne ne peut s’entendre sur un axe commun pour que l’humanité progresse. Si l’on veut respecter les croyances et les opinions de chacun, alors chaque dossier doit être examiné au cas par cas, mais on ne peut donner de direction globale. C’est vraiment le social libéralisme. Et je suis pas fan, à titre personnel. J’aurais préféré soit que le CFR soit simplement animé d’intentions fictionnelles, une sorte de squatt d’artistes dégénérés, soit qu’il soit plus « radical ». Comment peut-on dire, si l’on est vraiment humaniste, que le capitalisme n’est pas un problème ? La seule raison de sa survie est l’intérêt, et le CFR est supposé en être dépourvu. Donc pourquoi n’oeuvre-t-il pas à sa lente et progressive éradication, vers un système plus juste, égalitaire, écologique… ?
Et d’ailleurs Sliv est si tiède… Je veux dire, il n’a aucune aspérité, aucun défaut. Il a une telle connaissance « technique » du monde qu’il n’a plus vraiment d’avis. Le personnage de Nina, « l’activiste », est traité avec une sorte de condescendance, celle que l’on pourrait éprouver pour un ado qui fait sa crise. On se demande aussi comment le peuple américain peut suivre aveuglément le Congrès alors que les dossiers sont publics, qu’il peut s’informer ? Il est bêêêêête le peuple. Ben oui, mais pourquoi cette foi aveugle ? Peut être que des années de biberonnage à l’anti-internationalisme, à la peur du méchant Moyen Orient, à l’idée qu’il faut montrer les muscles en géopolitique avant de discuter, ont bien préparé le terrain.
Bref j’ai été agacé, et j’ai un peu trop soufflé. Je ne pense pas que j’achèverai cette trilogie là.