Voila un roman étonnant, qui se s’empare très habilement du thème du complot généralisé.
Plutôt que d’en faire un usage très spectaculaire (et très vendeur) en se prétendant oracle des vérités cachées au service de sombres desseins (façon Dan Brown), Antoine Bello s’intéresse à la racine de cette pulsion qui nous pousse vers le complotisme : la soif de fiction (Frédéric Lordon relie de façon assez pertinente ce besoin au conatus spinoziste). Le personnage principal aime raconter des histoires, c’est un scénariste dans l’âme, et c’est ce qui le jette dans les bras du fameux CFR. Cet organisme n’est d’ailleurs jamais totalement inquiétant (du moins dans ses motivations apparentes) ; il ne nous est pas présenté comme un outil de domination détenu par je ne sais quelle corporation diabolique, mais plutôt comme un organisme progressiste et humaniste. En effet, ce qui finit par être inquiétant dans le livre, c’est la pente glissante de l’imagination, cette addiction malsaine au Faux que développe le personnage principal.
Le récit est très bien construit, et propose des interprétations amusantes de l’histoire à l’aune de la falsification du réel : Laïka n’est jamais allée dans l’espace, le faux charnier de Timisoara est l’oeuvre du CFR, tout comme la fausse mappemonde du Vinland. Les personnages sont globalement intéressants, même si certains sont quand même assez caricaturaux (je pense à Lena Thorsen notamment).
J’aime beaucoup le ton assez kafkaïen du début du livre, où Silv est plongé dans une absurdité administrative qui le dépasse, et confronté à des personnages qui ne font pas vraiment sens (Gunnar, à la fois très propre sur lui et débraillé par exemple). Je trouve un peu dommage que le livre prenne un ton un peu plus classique et romanesque par la suite, à partir de la fin de la partie « Cordoba ». Un livre plus court et plus mystérieux, où l’on ne pénètre pas dans les rouages du CFR, m’aurait peut être plu davantage.
Ce maudit besoin de raconter des histoires, décidément…