Chaud comme c'est facho
En fait on aurait pu s'attendre à une certaine critique de la deuxième vague féminisme et plus précisément des intellectuelles des années 80 - l'auteure parle beaucoup de sa jeunesse dans les années...
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le 9 mai 2024
Les femmes s'emmerdent au lit... triste assertion et véritable casse-tête pour les hommes qui, élevés depuis une quarantaine d'années dans la volonté de faire plaisir à ces dames, s'évertuent à déployer des trésors d'imagination pour les emmener au 7e ciel.
Sonia Feertchak balance un pavé dans la mare. Oui les femmes sont nombreuses à s'emmerder au lit, et ce depuis un moment, tout en étant de plus en plus nombreuses à le reconnaître. Mais qu'est-ce qui a bien pu survenir pour en arriver à une telle déclaration, lapidaire, directe et sans pincettes ? Pour l'auteure c'est bien simple : le féminisme et la pornographie.
Mais autant calmer de suite les velléités de certain(e)s militant(e)s bouillonnant(e)s et légèrement à fleur de peau : ce livre n'est pas un torchon réactionnaire ni un plaidoyer en faveur d'un retour à une époque supposément bénie où tout le monde pouvait joyeusement copuler et prendre son pied sans retenue (même au temps des hippies et de leur prétendue "révolution sexuelle" c'était loin d'être le cas), pas plus qu'il n'est une charge en règle contre une "vilaine pornographie qui asservie les femmes et ces pauvres actrices qui n'ont pas vraiment choisie de faire ce métier". Ce livre, et c'est là où se situe toute sa force, cherche justement à sortir des logiques militantes et partisanes, quelle qu'elles soient, pour se situer à un niveau bien plus intéressant et subtil : les gens.
Ici il n'est pas question d'idéologie ou d'analyse de la situation par le prisme de dogmes ou de visions politiques du monde, mais de faits. Car si de grands combats ont été nécessaires, et le sont encore, pour permettre aux individus de s'émanciper et de vivre le plus librement possible, c'est vite oublier combien ceux-ci sont capables de s'adapter au jour le jour et de bricoler avec les normes. Ceux qui chercheront dans l'ouvrage de Sonia Feertchak une production scientifiquement sociologique seront déçus. Car il s'agit avant tout d'un témoignage personnel, d'une évidence s'étant progressivement imposée à l'auteure, évidence qui justifie à elle seule la rédaction de cet ouvrage, plus que nécessaire (mais nous y reviendrons)
Partant de sa propre expérience sexuelle et relationnelle, Feertchak y développe progressivement son argumentaire pour nous mener au cœur du problème : comment concilier envie de s'ébattre joyeusement et respect de soi ? Problème apparemment indissoluble que l’auteur entend résoudre grâce à l'aide de deux concepts, en apparence simples mais brillant par leur limpidité et leur simplicité : la féminette et le nouveau garçon.
La féminette est la conséquence des divers changements de paradigmes et des évolutions qu'ont connu les sexualités au cours du XXe siècle, et que certains nomment à mon sens très abusivement « révolution sexuelle ». Née à partir des années 70, la féminette de Feertchak s'est trouvée débarrassée de l'autoritarisme tout-puissant du père et a été élevée « comme les garçons » ou au moins a été encouragée à agir de même. Ayant eu progressivement accès à la sphère publique et donc aux domaines antérieurement réservés aux hommes, la féminette a également pu avoir accès à des modes de contraception variés, du préservatif à la pilule, puis à une sexualité libérée. « Je couche quand je veux, avec qui je veux et où je veux » est devenu une évidence pour le plus grand bonheur du genre humain, détruisant par là-même la sainte trinité amant-géniteur-père. Le féminisme, comme l'a également montré Eva Illouz (1), a donc sorti les femmes de leurs rôles traditionnels et les a projeté dans le grand bain du domaine public, tout en leur faisant prendre conscience qu'elles n'étaient en rien des objets. Seul hic, Feertchak, et nombre d'autres femmes, apprécient d'être dominées au lit. Comment, dès lors, être féministe quand on apprécie les joies de la levrette claquée ? Comment aller contre les injonctions de genre quand ce qu'on aime la force, la virilité et le sentiment d'être dominé par un homme ? (2) Autre problème : si le féminisme a introduit l'idée selon laquelle les femmes devaient être reconnues indépendamment de leur physique, l'auteure s'interroge sur le fait d'être féminine. Si la société pousse les femmes à être séduisantes, Feertchak avoue elle-même être un peu perdue entre le fait de considérer, du fait du féminisme, la séduction comme un « acte suspect » et la volonté de vouloir se faire belle pour séduire. Et les exemples de la sorte sont légions. S'ensuit le fait que la féminette se trouve tiraillée entre deux pôles, entre envie d'être courtisée, adulée, respectée et considérée tant sur le plan physique que mental, tout en adorant être réifiée une fois dans l'intimité. Entre la recherche du grand amour et les « ébats bestiaux », leur cœur balance ou, pour reprendre le titre du livre de Maïa Mazaurette : « Peut on être romantique en levrette ? » (3). Mais si les femmes sont empêtrées dans leurs contradictions, les hommes eux-aussi ont du mal à trouver leur place.
Contemporain de la féminette le nouveau garçon est, quant à lui, ce que Feetchak appelle « le rejeton du féminisme ». Véritable « fils à sa maman », celui-ci se sent de plus en plus handicapé au lit et ce pour deux raisons, non liées au caractère mais par « philosophie éclairée » : par amour maternel, mère qu'il vénère par dessus-tout, il a retenu comme un dogme le respect des femmes et, dans un second temps, par volonté de réparer les méfaits du patriarcat et pour atteindre l'égalité entre hommes et femmes, il va aduler ces dernières, les mettre sur un piédestal et s'excusera presque d'être un homme, même s'il n'est en rien responsable des saloperies qui ont été faites à ses ancêtres féminines. Si l'auteure ne se plaint pas que les hommes fassent preuve de plus d'empathie et ont pris conscience des difficultés des femmes, celle-ci considère néanmoins que tout ce qui relève du dogme ou du simple discours sans mise en acte comme étant une arnaque sans nom. Ce qui lui pose problème tient davantage du conditionnement des nouveaux garçons et de l'essentialisation du féminisme et des femmes (4) que d'un changement de discours de la part des hommes. Problème : face aux féminettes qui soufflent le chaud et le froid, comme nous l'avons vu, les nouveaux garçons se sentent perdus. Faut-il jouer les machos endurcis, ce fameux « connard » dont tant d'hommes ont l'impression qu'il fait craquer les femmes, ou alors être dans l'idéalisation complète de ces dernières ? To be a man, or not to be, that is the question. S'ensuit dès lors mille et un quiproquo où les hommes s’emmêlent les pinceaux et les femmes s'emmerdent au lit. On notera cette anecdote rapportée par l'auteure où son amant du soir s'arrêtait toutes les 5 minutes pour lui demander s'il ne lui faisait pas mal pendant que celle-ci fredonnait intérieurement « Fais-moi mal Johnny, Johnny, Johnny... ». Cela serait hilarant si nombre d'entre nous n'avaient pas déjà vécu ce genre de situation (même votre serviteur dans ses jeunes années de freluquet)
C'est là que le livre de Sonia Feertchak est plus qu'intelligent et apporte une vague de fraîcheur à ce débat qui fleure bon la poudre et le sang. Car plutôt que de livrer un réquisitoire sans merci contre la pornographie et le féminisme, façon opération Uranus en 42, celle-ci accouche d'un essai percutant, faisant tant appel à des anecdotes personnelles qu'à des exemples tirés de la littérature (son analyse de « 50 nuances de.. » est d'ailleurs particulièrement intéressante) et de la pop culture (selon elle, Barbie serait une féminette en puissance, de part l'utilisation qu'en font les petites filles) Elle ne s'oppose pas à la pornographie en tant que telle, mais plutôt aux injonctions performatives qui en découlent (éjaculations dignes d'une lance à incendie, coïts durant des heures etc) et de ce que la société en a fait, de même qu'elle étudie les conséquences du féminisme sur un plan purement factuel. Il n'est pas ici question de clouer les féminismes au pilori, mais d'étudier de manière dépassionnée les effets de ce mouvement sur la société. Ce n'est pas parce qu'une cause est juste que tout est rose au pays de Candy. Sonia Feertchak plutôt que de « clasher », sale habitude d'une société dont je pense qu'elle regrette fortement les combats de gladiateurs, préfère être dans la compréhension et le dépassement ainsi que dans l'analyse de ce que pourrais être la société dans le post-fémnisme actuel.
Cet ouvrage est donc nécessaire. Non pas pour adopter une posture victimaire, posture bien trop souvent invoquée dans nos sociétés pour se donner une légitimité à prendre publiquement la parole, ni pour sortir un essai cinglant et revanchard contre une catégorie sociale (les hommes, les féministes, les pornographes etc) et qui n'aurait pour conséquence que de cliver un débat sensible, sans pour autant apporter ne serait-ce que le commencement d'une sortie de crise. Ce livre est nécessaire et ce genre de discours précieux. Car les débats sur le féminisme, la place des femmes (et des hommes !) dans la société sont malheureusement trop souvent pollués par des considérations politico-partisanes. « Le sexe est avant tout politique » disait Elsa Dorlin (5). « Connerie » aurais-je envie de répondre ou alors « pas seulement ». Car ce parti pris est dangereux. Sonia Feertchak le fait d'ailleurs remarquer dans une récente tribune (6) :
Je ne connais pas Sophie de Menton, mais la remarque de "la petite dame" me paraît valoir bien mieux que le tombereau d'insultes qui lui sont tombées dessus. Comme elle, je m'inquiète de cette "guerre des sexes sans nuance" qui semble sur le point d'être menée; et la drague, et la baise, dans le même mouvement, malmenées. Pareille à Menthon qui écrit: "on finira par osciller entre le code pénal et le porno", je me désole de constater que, dans les médias comme dans les études, les galipettes ne sont plus envisagées que sous l'angle, marxiste, de la domination ou celui, ultratechnique, des pratiques. D'un côté, "La sexualité reste trop 'phallocentrée'"; de l'autre: "Les secrets d'un cunni réussi". Et le désir, le jeu de l'amour? Il devrait pourtant nous sauter aux yeux que les attentes des femmes vis-à-vis des hommes, et vice versa, ne sont pas les mêmes dans une société phallocrate et dans une société post-féministe. Les femmes de 2015 n'entendent plus la notion même de "désir masculin" tel que le comprenaient les suffragettes, perpétuellement coupables de susciter celui des hommes, tout-puissants.
Je vous recommande d'ailleurs la lecture de ce texte, brillant en tout point, qui a le mérite de mettre les choses au point, sans pour autant culpabiliser qui que ce soit. Aux féministes qui ne résonnent qu'en terme d'individu sujet, Feertchak les remercie mais rappelle que c'est son droit si elle veut se sentir objet. Aux nouveaux garçons perdus, celle-ci leur répond par l'intelligence sociale et relationnelle plutôt que par le fait de fantasmer et d'idéaliser une nature féminine supposément parfaite. Un excellent livre que je vous recommande donc chaudement.
(1) ILLOUZ, E. Pourquoi l'amour fait mal : l'expérience amoureuse dans la modernité, Berlin, Seuil, 2012
(2) Et pour avoir personnellement fait une étude sur la bisexualité, je peux vous dire que la quasi-totalité des femmes interrogées pour mon étude m'ont avoué adorer ces situations.
(3) MAZAURETTE, M. , MASCRET D. Peut-on être romantique en levrette ? 69 questions pas si absurdes sur me sexe. Paris, La Musardine, 2009
(4) Un comble quand on sait que le féminisme a une sainte horreur, à juste titre, de l'essentialisation. Même si certaines féministes ont la fâcheuse habitude de cracher dessus uniquement lorsqu'il touche aux femmes et se fendent de généralités, essentialisantes pour le coup, sur « les hommes ceci » ou « les hommes cela ».
(5) DORLIN, E. "Le sexe est avant tout une question politique". Le Monde, 08 mars 2010
(6) FEERTCHAK, S. "Ne nous délivrez pas du mâle", Huffington Post, 21 avril 2015
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le 22 juil. 2015
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