Le monde est fou !

Le nôtre, on le savait déjà, ce n’est pas une nouveauté. Mais celui de Volodine aussi, et ça non plus ça n’est pas nouveau. Dans ce nouvel opus post-exotique, le monde s’est d’ailleurs réduit à un immense hôpital psychiatrique, « le camp ». Au moins comme ça les choses sont claires. Et l’on ne s’étonnera pas de rencontrer des schizophrènes dédoublés, des morts qui continuent à vivre, le Parti qui persiste à croire en son avenir. Fou, vous dis-je !

Volodine joue avec ses personnages, les intervertissant, les faisant basculer sans cesse d’un statut à un autre. Tout ça dans un décor sombre, très sombre, une pluie fine ne cessant de tomber sur des rues qui n’existent que dans les rêves des morts.


On est très impressionné par la création des images mentales dans la tête du lecteur, et l’on sait que c’est l’un des points forts des auteurs post exotiques. Volodine nous l’expliquait récemment à propos de Black village, de Lutz Bassmann, revendiquant la forme de « l’interruptat » dans laquelle le récit prend fin brutalement, au milieu d’une phrase, lorsque l’auteur estime qu’il est parvenu à créer une image chez le lecteur*. Ces images viennent par l’utilisation de tous les sens. La pluie – le mot revient 103 fois dans le texte –, on l’entend, on la voit, on la sent, elle vous coule dans le dos. Quelques exemples perlent tout seuls : « Pendant un nombre indistinct de minutes, disons cinq, la musique de l’après-pluie forma le seul fond sonore. » , « Le paysage était imbibé de pluie, la cour du pavillon Waldemar ne dégorgeait que de la noirceur. », « La pluie se déverse violemment sur la nuit.

La pluie hache les feuilles des arbres.

La pluie fait monter jusqu’aux toits les odeurs de pourri de la rue Tolgosane.

La pluie baisse en intensité. On entend d’autres bruits. »

Dans Les filles de Monroe, le récit se déroule jusqu’au bout, sachant que la notion de bout ou de fin est très aléatoire chez l’auteur.


On se délecte aussi du jeu avec les noms, exercice favori de Volodine, ce qu’on appelle l’onomastique : qu’il s’agisse des lieux – boulevard Badbachdaf, rue des Sept-soldats, rue de la Clé-pouilleuse –, des personnages – Lilia Adouldjamani, Cora Kliff, Dame Patmos – ou des fractions du Parti – L’Opposition prolétarienne reconstituée, Les Marxistes de la grande compassion ou Les Rita Mandchoukuo. En annexe, on trouve une savoureuse liste de 343 fractions du Parti au temps de sa gloire. Tiens, 343, ça nous parle, ça !

On aura compris que l’école post-exotique nous livrent avec Les filles de Monroe un texte dont on prendra plaisir à longtemps chercher les clés, sans aucun espoir.


* Entretien avec l’auteur, 2017

Brigou13
8
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le 30 avr. 2023

Critique lue 16 fois

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