Je ne ferai donc pas exception. Comme de nombreux lecteurs, je n'ai pu terminer "Les garçons sauvages" malgré ma persévérance. Après avoir péniblement traversé les quatre-vingts premières pages, fait une incursion en son milieu et tenté d'en aborder la fin, j'ai dû me résoudre à l'abandon, non par manque d'intérêt, mais par impossibilité d'y trouver une cohérence satisfaisante. La structure fragmentée, l'utilisation du fameux "cut-up", les ruptures syntaxiques délibérées et l'absence de trame narrative conventionnelle ont eu raison de ma persévérance.


J'avais pourtant abordé l'œuvre avec enthousiasme, attiré par la figure de William S. Burroughs, ce titre plein de promesses d'érotisme et de liberté, ou encore par les échos du film de Bertrand Mandico qui s'en inspire librement. Il faut reconnaître la nature hybride de cet ouvrage qui défie les classifications : ni roman traditionnel, ni théâtre, ni recueil de nouvelles ou de poésies, mais une fusion expérimentale de toutes ces formes littéraires. Les personnages y sont délicieusement grotesques, portés par une écriture où s'entremêlent érotisme cru et violence stylisée.


Burroughs déploie un bestiaire fascinant de garçons-lézards, de garçons-planeurs ou de garons-charmants, peuple ses pages de colonel Arachnide ou de fantôme vicieux, invoque des divinités phalliques nous parle d'enculade, de copulation, de musc génital et de long sillon de foutre qui traverse le ciel. Il convoque la CIA, la maladie de l'autorité, le khat et le haschich, la magie Juju et même du corned-beef... Son texte voyage de Marrakech au Japon en passant par le Mexique ou le mystérieux Désert bleu, parsemé d'expressions en espagnol et d'anacoluthes. La ponctuation elle-même devient un instrument de dérèglement, avec ses doubles points proliférants et ses majuscules anarchiques.


Si une lecture linéaire semble vouée à l'échec, l'ouvrage doit probablement révéler sa puissance lorsqu'on l'aborde différemment : par fragments, dans un état second, dans des moments de solitude contemplative, ou comme matériau pour une performance orale. Je suis contraint d'attribuer une note, car le bon fonctionnement du site nous l'impose, mais je pense que cet objet recèle une puissance créative et une folie qui s'affranchit de nos jugements policés. Plus qu'un simple livre, "Les garçons sauvages" s'avère être une œuvre d'art totale qui échappe aux critères conventionnels d'évaluation pour s'affirmer comme une expérience sensorielle unique.

ZachJones
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le 10 févr. 2025

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Zachary Jones

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