Cet ouvrage se consacre principalement à l’étude des espaces physiques de la grande bourgeoisie française. Bien que la recherche en sciences sociales analyse peu les formes de mobilisation de la classe dominante, celle-ci n’en est pas moins réelle, et elle s’exerce tout particulièrement pour la préservation dans la durée des espaces de vie, de loisirs et de sociabilité. Les Pinçon-Charlot montrent alors la manière dont les capitaux s’accumulent, dont les réseaux se développent, tant au niveau national qu’international, et les stratégies parfois sophistiquées afin de garantir l’entre-soi. Alors même que l’individualisme est prôné parmi les dominants, un « collectivisme pratique » est largement adopté dans l’objectif de perpétuer la classe dans les meilleures conditions. Dans ce milieu, rien n’est laissé au hasard.
« En empruntant des exemples qui pourraient paraître anecdotiques face aux rapports de production eux-mêmes, on démontre que, dans ce groupe, il n’y a précisément rien qui soit anecdotique. On se situe toujours dans un système, une classe, un filet, une toile d’araignée où tout se tient » (Conclusion).
Là où nous pourrions voir des intérêts altruistes, par exemple à l’occasion du don d’un domaine au Conservatoire du littoral, il ne s’agit en réalité que d’une façon de préserver le milieu de vie. La manière qu’a la grande bourgeoisie de gérer ses espaces physiques est intrinsèquement liée à la configuration sociale de celle-ci, avec les valeurs et les comportements qui lui sont propres. Le physique dépend donc du social, et c’est ainsi que nous pouvons retrouver dans l’espace des inégalités sociales déjà exacerbées.
« La désespérance qui est au principe de ces violences urbaines [dans les cités], il serait judicieux de l’affronter. Pour cela, pourquoi ne pas commencer à rompre le silence complice sur les beaux quartiers et ceux qui y travaillent patiemment à la reconduction du même monde ? À commencer par les chercheurs qui, même lorsqu’ils sont spécialisés en sociologie urbaine, abordent rarement les problèmes urbains à partir de l’une de leurs causes, à savoir cette agrégation des familles de la haute société dans les mêmes espaces qui, en cascade, génère la spéculation immobilière, rend les centres urbains inabordables, et reproduit dans l’espace physique les discriminations et les injustices de l’espace social » (Conclusion).