Je n'ai qu'un désir, à quoi tendent tout mon être et toutes mes facultés. Ils y ont tendu si longtemps et avec tant de constance que je suis convaincu qu'il sera satisfait - et bientôt - parce qu'il a dévoré mon existence : je suis englouti dans l'avant-goût de sa réalisation. Ma confession ne m'a pas soulagé ; mais elle pourra expliquer des phases de mon humeur, qui, autrement, seraient inexplicables. Ô Dieu ! C'est une longue lutte, et je voudrais bien qu'elle soit finie !



Je suis abonné à la collection "Romans Éternels" par CRANFORD Collection, qui propose une sélection de 60 romans cultes qui ont révolutionné l'univers féminin à travers une édition victorienne intemporelle et évocatrice datant de la fin du XIXe siècle remis au goût du jour par le biais d'un hommage littéraire intégralement porté par des femmes qui ont marqué toute une époque. Des écrivaines visionnaires qui ont su faire perdurer à travers le temps par le biais d'une imagination aristocratique et affinée mêlée à une écriture raffinée des héroïnes intemporelles qui ont su briller, inspirer et survivre à une époque où celles-ci étaient encore réduites par un patriarcat largement dominant. Des classiques de la littérature considérés comme de véritables trésors révolutionnaires et universels dressés par des femmes libres qui ont osé prendre la parole pour nous plonger dans les arcanes féminins. Une collection rayonnante illustrée à travers des livres magnifiquement soignés avec des couvertures d'une beauté étonnante laissant libre cours à de superbes décorations florales inspirées des ravissants motifs naturalistes d'époque, subtilement colorisé avec un marquage au fer à dorer délicat dont en ouverture de page une magnifique illustration, qui font des ouvrages de cette collection des pièces uniques luxueuses, et distinguées. J'entreprends de lire et de critiquer tous les livres dans leur ordre de parution.



Pour le numéro 2, la surprenante Émilie Brontë avec sa conception frissonnante de l'amour avec Les Hauts de Hurlevent.



Émilie Brontë, petite sœur de Charlotte Brontë à qui l'on doit Jane Eyre, publie avec Les Hauts de Hurlevent une littérature romanesque déraisonnable, malsaine et cruelle, montrant une des pires formes d'humanité à travers l'amour. Une oeuvre noire qui traite avec maturité d'égal à égal la haine et l'amour par le biais d'un récit diaboliquement obsessionnel et disproportionné. Un théâtre déchaîné faisant appel à des personnages rongés par l'individualisme et l'égocentrisme au nom d'une passion vénéneuse et nocive tenant d'une vénération et d'une dévotion qui n'est pas saine car altérée d'un sentiment contagieux qui va germer et se complaire dans le mal au point de dissolver tel un virus morbide les vies de deux familles. Une première littérature stupéfiante et remarquable de la part d'Émilie Brontë, qui malheureusement sera le seul roman de sa carrière, l'écrivaine étant emportée par la tuberculose quelques mois après la sortie de son livre.


Le récit nous plonge en 1801 dans les campagnes anglaises dans une histoire d'amour et de sentiments violents entre deux jeunes âmes sœurs qui étendront leurs folies aux générations suivantes. Un couple maudit qui donnera naissance à un véritable démon qui d'une passion destructrice sera à l'origine d'une véritable tragédie pour le lecteur qui sera tout du long persécuté et pris à contre pied. Le cadre en vase clos du récit confère au spectacle une ambiance intimiste austère et lugubre qui ne trouve son action que dans la lande sauvage et plus particulièrement entre deux maisons : '' Thrushcross Grange '', et à quelques miles de là " Wuthering Heights, Les Hauts de Hurlevent. " Un environnement limité et pourtant sublimé par les perfidies commises dans la triste demeure de Hurlevent qui sera le témoin d'une famille aimante recomposée qui dans la durée éclatera pour laisser paraître sa pestilence.


Le récit est écrit de main de maître ! Dès les premières pages on est plongé dans le cœur du désarroi qui règne dans les Hauts de Hurlevent. L'intrigue nous saisit pour mieux nous renvoyer des années en arrière dans un immense flashback raconté par Dean, la femme de maison, à son nouveau maître Lockwood. Les dialogues sont vivants, la narration va droit à l'essentiel et ne se permet aucun remplissage futile, ni la moindre description abusive, parvenant à chaque fois à viser juste et fort. Très vite on se sent cramponné à l'histoire avec des personnages, plus précisément des enfants, qui vont grandir à mesure que les pages vont se tourner suivant leur histoire dès leurs 6 ans pour les accompagner des années plus tard en tant qu'adultes dans la mort. Malgré l'année de parution soi en 1847 l'écriture reste parfaitement compréhensible à travers un texte incisif et éloquent à la portée de tous. Emily Brontë adopte à travers ses écrits une posture mortuaire qui vogue entre le réalisme et le fantasme d'une manière si intelligente, adulte et réfléchi que cela confère à son roman une certaine sagesse et vérité de la puissance extrême de l'amour qui peut conduire à la folie. Une telle maturité laisse pantois lorsqu'on sait que son auteur n'est qu'une jeune romancière inexpérimentée à peine âgée de 30 ans à la vie monotone et morose qui n'eut pour seul compagnon (en plus de son frère et de ses sœurs) ses chiens.



Comme je parlais, la lumière éclaira son visage. Oh ! monsieur Lockwood, je ne saurais vous dire le choc que je ressentis à cette vision passagère ! Ces profonds yeux noirs ! Ce sourire, cette pâleur de spectre ! Je crus voir non pas M. Heathcliff, mais un fantôme. Dans ma terreur, je laissai pencher la chandelle vers le mur, et je me retrouvai dans l'obscurité.



Un voile ténébreux recouvre le passé de la jeune romancière si bien, qu'il est difficile de comprendre d'où lui sont venues de telles inspirations. Néanmoins, certains éléments dramatiques de sa vie semblent se refléter dans ses écrits. On retiendra surtout que malgré son jeune âge, Emily aura à plusieurs reprises flirté de près avec la mort. Entre une mère balayée par le cancer et deux sœurs décédées par la typhoïde qui sera à l'origine de la désertion du père laissant une fratrie de plusieurs enfants qui connaîtront pour certains un triste sort, notamment avec son grand frère qui mourra de la tuberculose et qui sera fatalement et tristement indirectement responsable de la mort d'Emily Brontë qui durant ses funérailles attrapa également la tuberculose et en mourra. Un triste récit qui finalement dans sa composante tourmentée sera ce qui se rapprochera le plus de son roman iconique Les Hauts de Hurlevent. Fatale ironie !


La richesse du roman provient avant tout de ses personnages qui sont pour beaucoup antipathiques mais profondément humains et complexes. Mr Lockwood, le nouveau locataire de Thrushcross Grange est le personnage auquel on s'identifie le mieux puisque tout comme lui l'on découvre avec stupeur l'histoire tourmentée autour de la demeure des Hauts de Hurlevent, racontée par Mme Dean : Nelly, la spectatrice saine d'esprit, le témoin d'un récit incroyable. Le premier enseignement que l'on tire de tous ces personnages vient de la complexité de chacun, qui jamais ne sont totalement gentils ou totalement mauvais. Une nuance d'esprit constamment partagée entre le mal et le bien jusqu'à son héroïne Catherine, une femme troublante difficile à discerner capable du meilleur comme du pire, tenant de plus sincère et authentique que son amour démesuré et un brin incestueux pour son frère adoptif Heathcliff qui aura partagé tout son bonheur et son malheur au point de la conduire à la folie.


Heathcliff un personnage aussi épouvantable que fascinant ! Un homme cruel, démoniaque, jaloux et calculateur qui cultive tout son être à travers le ressentiment passionnel que lui procure son amour pour Catherine. Une passion amorale qui s'est forgée en amont par la rudesse de son cadre désolé et de ses habitants. Des bas instincts guidés par une souffrance qui ne trouvera un peu de repos que dans l'annihilation de son prochain. Une vengeance implacable qui s'étale sur plusieurs générations. Ce que je trouve dingue, c'est que plus d'une fois j'avais envie de rentrer dans le livre pour l'attraper et lui coller une bonne branlée. Heathcliff est à ce jour le protagoniste littéraire le plus ambigu, inquiétant, répulsif et tout autant passionnant à lire. D'autres acteurs tiennent une place importante et passionnante tels que Hindley le persécuteur qui n'a jamais su faire son deuil, Edgar Linton le mari dévoué et un brin lâche, Hareton la triste victime des torts de son père, Joseph le bourreau vieillard malsain à l'accent tranché, l'impétueuse et passionnée enfant gâtée Cathy, ou encore le pauvre et déplorable jeune Master Linton Heathcliff. Que des portraits atypiques rassemblés autour de deux familles anglaises victoriennes qui sont à l'origine de l'histoire d'amour la plus traumatique et enflammée qu'il
m'a été donnée de lire à ce jour.



CONCLUSION :



Les Hauts de Hurlevent d'Émilie Brontë, en tant que second opus de la collection "Romans Éternels" par CRANFORD Collection, est un ouvrage subjuguant qui contourne, déforme et dévisage les mythes de l'amour qui trouve une forme mature, complexe et inspirée qui vient dynamiter un à un tous les clichés et les codes du genre. Une approche de l'amour décadente, violente et passionnante jusqu'à la folie. Du grand art dont je ne garde comme regret que sa conclusion bien trop sèche. Il en reste pas moins un roman remarquable qui ne cesse tout du long de captiver à travers des chapitres débordant via des personnages palpitants.


Les passions amoureuses hantées par le déferlement de la folie humaine par une Émilie Brontë malheureusement partie trop tôt.




  • Je crois que vous me prenez pour un démon, dit-il avec son rire sinistre ; une créature trop horrible pour vivre sous un toit honnête.
    Puis, se tournant vers Catherine, qui était là et qui s'était dissimulée derrière moi à son approche, il ajouta en ricanant à moitié :

  • Et vous, voulez-vous venir, ma jolie ? Je ne vous ferai pas de mal. Non ? Pour vous, je suis devenu pire que le diable. Voyons, il y en aura bien une qui ne reculera pas à l'idée de me tenir compagnie. Pardieu ! Elle est impitoyable. Oh ! Damnation ! C'est plus que n'en peut supporter la nature humaine... même la mienne !


B_Jérémy
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le 15 oct. 2021

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