J'ai longtemps hésité avant de me lancer dans ce 5e tome de Dune. Non seulement parce que l'empereur Dieu était l'aboutissement d'une épopée inoubliable s'étalant sur 4 millénaires, mais également parce que ce présent ouvrage débute une nouvelle intrigue - aux airs de reboot - en s'appuyant sur les vestiges d'un passé qu'il m'apparaissait difficile de transcender. Mais voilà, quand on a goûté aux charmes de Dune, il est presque impossible de résister à une invitation nous replongeant dans les arcanes du fascinant univers créé par Frank Herbert. Et ce même en sachant pertinemment qu'on embarque pour une aventure que l'auteur n'aura pas le temps d'achever avec le 7e livre qu'il avait initialement l'intention d'écrire...
Même en ayant conscience que jamais je ne connaîtrai la conclusion imaginée par F. Herbert, je ne regrette absolument pas ce retour à un univers qui me captive tant. Ne serait-ce que pour la sensation d'être totalement perdu au début du roman. Car oui, avoir dévoré presque 3000 pages de Dune ne prémunit aucunement du travail de réappropriation de l'univers nécessaire à l'immersion dans ce nouveau cycle. Nous sommes lâchés dans une sorte de flou artistique brouillant nos repères mais nous apparaissant pourtant comme étant familier. A l'image d'Arakis devenue Rakis ou Gedi Prime rebaptisée en Gammu.
Ce n'est donc plus tout à fait comme avant. Les forces en présence ont changé et il va falloir faire avec 1500ans d'existence post Leto II dont l'héritage aura permis l'émergence - ou le déclin - de certains noms connus. Ainsi, le Bene Tleilax joue les premiers rôles avec sa production industrielle d'épice et ses gholas toujours plus perfectionnés quand les Révérendes Mères doivent faire face à l'apparition d'une faction dissidente revenue de la Grande Dispersion - exode massive résultant du Sentier d'Or - qui s'est baptisée Honorées Matriarches et qui privilégie le contrôle par le sexe. Tous ces bouleversements s'accompagnent naturellement d'une flopée de nouveaux personnages dont il va falloir assimiler la personnalité et les ambitions. En somme, il flotte un parfum de renouveau qui m'a personnellement rappelé ma découverte du 1er Dune. Agréable sensation à n'en pas douter.
Mais est-ce aussi haletant et surprenant ? Forcément non. Non parce que les codes de la saga restent inchangés. Et également parce que Frank Herbert peine à offrir des personnages originaux qui marquent durablement les esprits; à l'image d'un Miles Teg certes charismatique et badass mais qui au fond n'est qu'un décalque du Duncan Idaho des débuts. D'ailleurs en parlant de Duncan - le seul, l'unique...euh en fait nan... quant à Duncan donc - on le retrouve à nouveau avec plaisir mais néanmoins avec une pointe d'exaspération tant il aurait mérité de reposer en paix. Mais bon, que serait cette épopée sans son martyre préféré, et a fortiori son liant entre tous les livres ?
Finalement une fois la surprise de la (re)découverte passée, il reste bien sûr le plaisir inhérent au lecteur omniscient d'observer les prédictions de l'Empereur Dieu se matérialiser sous nos yeux, mais il demeure également toutefois le désagréable sentiment d'avoir succombé à une pâle copie de l'Histoire originelle; celle des Atreides et de tous les personnages hauts en couleurs qui gravitaient autour d'eux. Car ici, force est de constater que les Sheana et autres Odrade ne peuvent soutenir la comparaison avec leurs prédécesseurs. Attention, je ne suis pas entrain de dénigrer gratuitement un opus que j'ai dévoré d'une traite, mais je me dois d'indiquer que ce nouveau Chapitre est loin d'égaler le précédent.
Et au fond je pense que c'est tout à fait normal. Comment le pourrait-il ? L'Empereur Dieu est clairement LA pièce maitresse de la série, LE point culminant d'un récit qui brasse toutes les thématiques chères à l'auteur - à savoir écologique, religieuse, économique, managériale et sociale - qu'il fusionne en un tout cohérent et efficace. Or une fois cette apogée atteinte, il est naturel de se demander ce que peut apporter une nouvelle strate scénaristique à un univers qui se suffisait à lui même; à une œuvre totale et accomplie.
Rien hormis la gourmandise de profiter encore un peu de la plume de Frank Herbert. Ce livre c'est un peu la dose d'épice de trop qu'on consomme par faiblesse alors qu'on est déjà bien en transe et totalement raide défoncé. Mais on se laisse tenter alors qu'on sait que c'est mal et que notre trip ne pourra jamais être meilleur que ce qu'il est déjà. On a beau savoir que la descente sera rude et que le sevrage sera difficile, on replonge néanmoins corps et âme dans cet univers fictif qu'on se refuse à abandonner. C'est un cercle vicieux. C'est le cycle de Dune. C'est le sentier d'Or de Frank Herbert.