« Elle prit quelques secondes pour contempler ce paquebot de verre, posé sur le fleuve. »
Paru en janvier 2015 en Série Noire (éditions Gallimard), le deuxième roman du journaliste et écrivain Thomas Bronnec, s’ouvre sur un suicide spectaculaire : une femme se jette dans le vide depuis le toit de Bercy. Ex-cadre du Ministère, elle a été chargée quelques années plus tôt, avec sa collègue Nathalie Renaudier, de rédiger un rapport sur le plan déployé pour venir en aide aux banques françaises au moment de la crise financière de 2008, menant pour cela des investigations trop poussées au goût de certains hauts fonctionnaires.
Cet incident tragique replonge Christophe Demory, le directeur de cabinet du Ministre des Finances, dans les souvenirs douloureux et les questions restées en suspens après le suicide de son ancienne compagne, Nathalie Renaudier.
Alors qu’une nouvelle crise bancaire se profile, quelques années après la chute de Lehman, la Ministre des Finances, la très populaire Isabelle Colson, nommée pour mettre en œuvre le programme du président socialiste nouvellement élu, ne veut pas entendre parler d’un plan de sauvetage des banques sans contrepartie, comme en 2008.
Elle a réussi jusque-là, avec le soutien de ce Directeur de Cabinet apprécié de tous parce que peu menaçant, à mettre en œuvre les promesses de campagne, en minimisant leur édulcoration par Bercy, et en particulier par l’indéboulonnable Directeur du Trésor. La situation s’envenime entre la ministre et son administration, alors que le Crédit parisien déjà sauvé en 2008 grâce au plan de soutien décidé par l’État, frôle à nouveau le gouffre, et que Christophe Demory semble perdre pied.
Collusion entre la haute administration et le milieu bancaire, dérive affairiste de la gauche au pouvoir qui trouve sa source au début des années 1980, pendant le premier septennat de François Mitterrand : En coulisse, le patron du Crédit parisien tire les ficelles, en dictant ses volontés au Directeur du Trésor et à un conseiller du Président à l’Élysée.
«Depuis près de trente ans, il avait bâti un édifice unique basé sur une philosophie très simple : ce qui est bon pour le Crédit parisien est bon pour la France. Il avait noué dans le monde politique et dans celui de la haute fonction publique des liens privilégiés avec les personnes qui comptaient, ou qui allaient compter. Il s’était très rarement trompé. Dès le début de leur carrière, il allait voir ceux qu’il appelait les « jeunes talents » et il leur faisait son numéro de charme. C’était la première étape du piège qu’il tissait patiemment autour d’eux, jusqu’à ce que leur communauté d’intérêts avec lui et la banque soit devenue trop étroite pour qu’ils puissent dévier de la ligne.
Pour lui, le bonheur de l’humanité passait par le bonheur de la banque. De sa banque. Il était sincèrement persuadé que le système français, où les élites formées dans les mêmes écoles atterrissaient ensuite dans tous les centres de décision du pays, et baignaient dans un entrelacs d’intérêts objectifs, était le meilleur, et il avait décidé de le sécuriser à son profit.»
Faire payer les dettes des banques par l’état en échappant à toute prise de contrôle ou régulation, en profiter pour croître et engranger des profits accrus, le lecteur n’aura pas toujours la sensation de lire un ouvrage de fiction, même si (ou d’autant plus que…) ces événements sont agrémentés de corruption, de tromperies et de coups tordus. C’est très bien (et même presque trop bien) documenté, à tel point que la connaissance poussée de Thomas Bronnec, déjà auteur d’un livre sur les arcanes de Bercy avec Laurent Fargues («Bercy au cœur du pouvoir», éditions Denoël, 2011), semble empêcher, en glissant vers une pédagogie trop apparente, quoiqu’extrêmement claire, l’intrigue et les personnages de prendre toute leur ampleur.
Malgré des personnages qui ne viennent pas bousculer la fibre émotionnelle comme sait le faire une Dominique Manotti, ce roman qui plonge dans les arcanes de Bercy vaut le détour, mais il laisse trop de marbre par ce qui ressemble sans doute à un manque d’engagement.
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