En ce début de XXe siècle à Londres, une nouvelle presse est en train de voir le jour. Une presse qui n’est plus investigatrice et informative mais indiscrète et importune. Ce sont les débuts de la presse people qu’Henry James décrit de façon si juste, si inspirée, si prémonitoire.

Une presse « artistique » dans laquelle le journaliste devient créateur. Il ne se contente plus de relater des faits avérés et vérifiés. Il cherche, pourchasse, imagine, arrange la vérité pour les besoins de son papier. N’hésite plus à provoquer l’événement si celui-ci tarde trop. Voire à inventer s’il n’a rien à dire. L’événement n’importe plus. Il s’efface devant les nécessités de ces nouveaux chroniqueurs : sortir son papier avant les autres, dégoter le premier le scoop qui passionnera le public et assurera à son inventeur gloire et fortune.

Une presse qui ne s’embarrasse plus de scrupule ni de retenue. Décence et conscience professionnelle gisent au fond du caniveau. Le journaliste fouille, harcèle et calomnie à tour de bras, poussant parfois sa victime au faux pas, au geste désespéré. Pour le plus grand plaisir d’un lectorat devenu voyeur et avide de cancans.

Dans cette nouvelle Henry James montre également les petits bourgeois, les anciennes idoles sur le retour qui voient en cette nouvelle presse le moyen de grimper sur le devant de la scène ou de rétablir une position perdue. Tout plutôt que d’être ignoré ou oublié. L’important est qu’on parle d’eux, qu’importe le discours. Ces gens deviennent solliciteurs, gravitent autour des journaleux qu’ils voient comme tous puissants, comme seuls capables de les mettre en lumière. Ils se font mielleux, obséquieux, corrupteurs. N’hésitent pas à s’abaisser plus bas que terre, à titiller l’égo de ses nouveaux grands hommes pour un article, un entrefilet, un paragraphe ou seulement quelques lignes : un coup de projecteur si modeste soit-il sur leur insignifiante personne, un instant de gloire dont ils pourront s’enorgueillir ensuite des jours durant. Des solliciteurs méprisés, moqués par la nouvelle presse qui s’imagine alors à la tête d’un monde nouveau. Un monde à deux dans lequel les journalistes utilisent les flagorneurs sur lesquels écrire autant que ces derniers ont besoin des premiers pour exister.

A l’instar de deux autres nouvelles également publiées en 1903 (« La bête de la jungle » et « la maison natale »), « les journaux » sont écrits à mots couverts. Un texte un tantinet abscons qui oblige le lecteur à lire entre les lignes, à comprendre les conversations à demi-mots. A se servir de sa matière grise pour combler les trous, les non-dits, les évidences qui n’en sont pas toujours.

Une nouvelle très intéressante et plus que jamais actuelle.
BibliOrnitho
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le 18 juin 2014

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