Etre père en politique ?
Les Malédictions, Claudia Pineiro, Actes Sud, trad. Romain Magras « On peut entrer en politique pour diverses raisons. Certaines, plus légitimes que d'autres. Egalement par erreur, par...
Par
le 28 juil. 2021
Les Malédictions, Claudia Pineiro, Actes Sud, trad. Romain Magras
« On peut entrer en politique pour diverses raisons. Certaines, plus légitimes que d'autres. Egalement par erreur, par faiblesse, pour n'avoir pas su dire non. Pour s'être trouvé au bon endroit au bon moment. Ou au mauvais endroit au mauvais moment ».
Nous voilà transportés en Argentine, dans le premier cercle d'un homme décidé et « moderne » partant avec quelques fidèles, spécialement recrutés pour « l'occasion », à la conquête du pouvoir. Poussé par un de ses amis à candidater auprès du jeune parti en voie de constitution, Roman Sabaté devient, un peu par hasard et étonné d'avoir été choisi, le secrétaire privé, le coach sportif, le confident de Fernando Rovira, le leader en recherche de notoriété et d'influence. Rovira est un homme de grande ambition mais il est infertile et craint de ne pouvoir être élu gouverneur de la province de Buenos-Aires puis président de la République s'il n'est père de famille.... Qu'à cela ne tienne ! il demande à Roman de faire un enfant à sa propre épouse, Roman s'y refuse puis se trouve contraint de céder....
C'est cette histoire que nous conte Claudia Pineiro dans un roman puissant, mi-thriller, mi-roman psychologique, entre morale et politique, sur fond d'histoire contemporaine de l'Argentine et de tant d'autres démocraties où « faire de la politique autrement », par les réseaux sociaux, sur la seule foi en un homme providentiel sans parti ni doctrine, les yeux rivés sur les études d'opinion, est devenu un « mantra » à la mode sur tous les continents.
Mais la vertigineuse dimension du « service » que Roman est appelé à rendre au politicien, dans un lit avec sa femme pendant que l'époux voyeur regarde clandestinement la scène par un oeilleton depuis la pièce voisine- donne à ce récit une épaisseur peu commune.
Ajoutez-y quelques accidents mortels ou décès non élucidés, une journaliste amoureuse mais pas dupe, un bon copain un peu techno mais sensible qui croit, de bonne foi, au projet du nouveau leader et un vieil oncle attaché à la démocratie de naguère -ici représentée par Raoul Alfonsin, le premier président élu démocratiquement après la dictature militaire-, une pincée de magie noire – la mère du politicien veille au bonheur et à l'avenir de son fils à coups de cartes de tarot et de pendules, une véritable Agrippine- quelques digressions sur la création de La Plata, capitale de la province, à l'urbanisme cabalistique, franc-maçon ou inspiré d'une ville fictive inventée par Jules Verne, et vous tenez un très bon livre, à la construction brillante, d'une lecture aisée et passionnante, très stimulante - sur la politique « moderne », la paternité, la morale, la dialectique hégélienne « maître /esclave » où le plus libre n'est pas toujours celui qu'on imagine (« Toi, l'esclave, tu as besoin du salaire qu'il te verse ; mais les raisons pour lesquelles il (« le maître ») a besoin de toi représentent beaucoup plus, infiniment plus : sans toi, il ne peut pas survivre »).
Les amateurs de littérature hispanophone retrouveront un ton, un style qui pourrait bien leur être familier : il y a dans ces « Malédictions » argentines, les tâtonnements analytiques d'un Javier Cercas à son meilleur et on y sonde la profondeur de l'âme comme un Javier Marias dans « Comme les amours ».
Seule réserve, bien vénielle : une fin un peu « Club des cinq ». Mais on aurait grand tort de bouder son plaisir au motif d'un « Final feliz » un peu inattendu ! Notre vielle Europe est accoutumée aux prédictions désastreuses , les Amériques beaucoup moins, et c'est tant mieux. Ca nous change...
Créée
le 28 juil. 2021
Critique lue 128 fois
D'autres avis sur Les Malédictions
Les Malédictions, Claudia Pineiro, Actes Sud, trad. Romain Magras « On peut entrer en politique pour diverses raisons. Certaines, plus légitimes que d'autres. Egalement par erreur, par...
Par
le 28 juil. 2021
Du même critique
L'inconnu de la poste, Florence Aubenas, Editions de l'Olivier Une postière de Montreal-la-Cluse, gros bourg en face de Nantua, dans l'Ain, se fait assassiner de vingt-huit de coups de couteau dans...
Par
le 15 févr. 2021
19 j'aime
3
On fait polémique de tout en France. Même d'un livre intelligent, très brillamment construit, à l'écriture simple et tenue qui nous parle de nous. Enfin, nous.... Les Farel, le couple du livre, ne...
Par
le 20 oct. 2020
11 j'aime
Attaquer la terre et le soleil, Mathieu Belezi, édit. le Tripode Voici un bien beau livre, un très bel objet édité avec soin : qualité du papier, élégance de la mise en page, beauté et évidence de la...
Par
le 4 sept. 2022
9 j'aime
3