Les manquants, c'est le nom que l'on donne aux pieds de vigne qui meurent et ne sont pas remplacés. C'est aussi le titre de ce roman, qui m'a séduit, presque plus sur la forme que sur son fond.
Dans ce roman, 3 femmes vont prendre la parole à tour de rôle, dans un contexte d'interrogatoire. Seule leurs paroles sont retranscrites. On ne verra aucun autre personnage prendre la parole directement, notamment pas ce policier qui les a convoqué toutes les 3 pour les interroger sur la disparition de Thomas.
Thomas, c'est le mari et le père des enfants de Claire. Il a disparu sans crier gare il y a 2 ans. Pourtant, Claire n'a rien dit, alors, espérant que ne pas nommer les choses permettrait de faire en sorte qu'elles ne soient jamais arrivée, que Thomas revienne. Mais voilà, les choses semblent avoir évoluées, et il faut à présent rendre des comptes. Donc Claire, Hélène et Joan doivent venir expliquer qui était Thomas, quelle était sa relation avec Claire et pourquoi rien n'a été dit pendant 2 ans.
Au fil du flot de paroles de ces 3 femmes, on comprend petit à petit ce qu'il s'est passé dans l'histoire : on comprend que les 3 amies se connaissant depuis la fac, dans ce qui pourrait être l’occupation de Tolbiac, dont l'autrice s'inspire largement ; on comprend que le mariage de Claire a fait grincer les dents de ses 2 amies, qui n'ont jamais compris ce renoncement de tous les principes de Claire ; on comprend que Thomas était à la fois distant et proche d'Hélène et de Joan (mais finalement, aussi de Claire?). On comprend aussi ce qui s'est passé dans l'Histoire, avec un grand H, via de petits indices, des noms imposant qui semblent vouloir dire quelques choses d'évident pour ces femmes et ce policier qui les écoute (le jour de l'Oural, la Communauté), on nous parle de réchauffement climatique, de sécheresse, de rationnement, de violences policières.
Enfin, quand je dis "on nous parle", ce sont surtout les 3 amies qui à tour de rôle prennent la parole et nous distillent des indices, sur cette histoire et cette Histoire.
Ainsi, par cette forme qui laisse si peu entrevoir le fond, on obtient quand même un roman politique fort, où les relations de classe et de genre sont décortiqué, mis à décanter et retranscrit comme un bon vin sur fond de fin de monde climatique et social.
J'aurais du mal à qualifier le roman de féministe, bien que seule des femmes parlent, mais au final pour ne parler presque que d'une chose : un homme ! Même si au final, on devine bien que cette homme n'est finalement que le prétexte de ce roman. Comme les manquants, il ne donnera pas son goût au vin, mais on ne pourra s’empêcher de se demander comment sa présence aurait modifier les autres et le résultats final.
En vous parlant de Thomas comme ça, tous les jours, je me rends compte que je le construis. Il prend forme. Avant, il était là, il pouvait se défendre ; maintenant, il n'y a que nos paroles pour le faire exister. Comment faire un portrait d'absent ?
Ce roman est à la fois sobre et captivant. Devant son apparente simplicité, on se retrouve rapidement enivré par la profondeur et la complexité de cette construction littéraire. Comme un bon vin, on devine au travers de cette simple gorgée les qualités de la terre qui ont hébergé les raisins, l'ensoleillement et toute la complexité de ce coteau. On est presque déçu de ne pas en savoir plus à la fin, mais ça donne une bonne excuse pour se resservir et se replonger dans ce roman. Hâte de boire la prochaine cuvée !