Donc concrètement dans la saga d'Erikson, on se retrouve avec trois portes d'entrée dans cette univers. Le tome 1, le tome 2 et le tome 5, chacun de ses tomes introduisent de nouveaux personnages, de nouvelles coutumes et de nouveau point de vue dans ce monde. Chaque tome a ses propres thématiques, plus ou moins bien traités, ses paragraphes philosophiques et surtout un déballage d'information grandiose. La aussi, Erikson peut surcharger sur certain tome ou très bien doser dans d'autre. Je dirais que ce tome est l'un des meilleurs, il a la symbolique la plus forte et il est magistralement rythmé. Juste la dose d'action un peu en dessous de la norme mais largement compensée par un dramatisme intense.
Après nous avoir présenté les continents de l' Empire Malazéen que sont Genabackis et Sept Cités, nous voyageons à nouveau vers un tout nouveau continent (l'un des sept dans ce monde), un continent appelé Lether. Dans ce tome, nous suivons le Royaume de Lether qui continue son expansion sans fin vers le Nord et surtout vers les tribus Tiste Edur. Ces même tribus qui sont unis au prés de Hannan Mossag, le roi sorcier qui va conduire ça race à un destin des plus tragique. On suit donc d'un coté une partie de nos protagonistes chez les Edur et une autre dans la capitale du Royaume de Lether.
Dans le premier arc narratif, on suit le clan Sengar, l'un des clans les plus importants chez les Edur avec les trois tragique frères que sont Fear, Trull (qu'on avait déjà vu dans La Maison des Chaines) et Rhulad. Chacun des frères vont obtenir un rôle dans cette nation en migration vers la conquête de Lether. Avec eux, on suit un monde tribal et esclavagiste avec des coutumes très intéressantes et des particularité singulière (vu que les Edur vivent longtemps, ils sont très conservateur et ils vont trouver un moyen d'y remédier en quelque sorte). On suit aussi l'aquiteuse (un titre inventé, ambassadrice) Seren Pedac chargé d'escorter des marchands ainsi que la délégation letherie chargé de négocier des "raisons pour une guerre". A tout ceci s'ajoute deux esclaves dont l'un va avoir le rôle de conseiller du chef de cette nation. Tout ce beau monde est aussi manipulé par une petite divinité qui cherche à avoir plus d'influence...
Pour décrire les letheriis, rien de mieux qu'une petite citation:
"Pour les Letheriis, l’or importait plus que tout. L’or et les possessions qui lui étaient inhérentes définissaient la totalité de leur monde. Pouvoir, statut, amour-propre et respect, tout n’était que commodités pouvant être acquises contre de l’argent. Plus encore, la dette régissait l’ensemble du royaume, elle définissait chaque relation, elle était la motivation qui projetait son ombre sur chaque agissement, chaque décision. Cette sournoise moisson de morses ne constituait que le premier acte d’un stratagème dont les Letheriis s’étaient déjà maintes fois servis contre toutes les tribus qui vivaient par-delà les terres frontalières."
Les letheriis sont symboliquement rien de moins que les Etat Unis et une critique total de leur valeur et de leur système inhumain. Et à plus large échelle une critique du colonialisme et de l'impérialisme remarquablement incrusté dans le Worldbuilding. Ainsi, pour une telle nation de croyance à la grandeur, de prédétermination, il est tout à fait acceptable qu’ils puissent empiéter sur un territoire étranger, pour chasser et amasser les richesses du dur labeur de quelqu'un d’autre.
Et à cause de leur propre justice, il est tout à fait logique pour eux - lorsque les tribus à qui ils ont volé des représailles et détruisent les navires, tue l'équipage et récupère ces richesses volées - d'exiger une compensation. Pas pour les navires détruits, pas pour l'équipage tué, mais pour la perte de la valeur marchande qu'ils gagneraient avec les richesses qu'ils ont volées en premier lieu. Faisant ainsi encore une autre nation leur esclave endetté. Mais les Tistes Edur, après s’être unis ont eux aussi envie de grandeur et de puissance, eux aussi rêve d'impérialisme et de conflit.
Petite remarque terminé, le second arc à contrario du premier est lui burlesque. On suit la aussi une autre famille est principalement les trois frères Beddict. Entre le duo Tehol Beddict et Bugg (maître et esclave), avec des dialogues d'un délice grandiose, au projet fou d'envoyer toute les minorités de Lether dans des îles au confins de la nation. Leur péripétie sont plutôt très comique et s'allie bien au coté tragique de l'intrigue. Ou encore Brys Beddict, le champion du roi qui va nous faire suivre les manigances au sommet de l'état et qui va avoir son moment de folie avec le Céda (mage royal) à la toute fin du livre. Il y a aussi Hull Beddict mais lui il est dans la délégation en route chez les Edur.
Le livre aussi possède une forte dénonciation de la guerre avec une explosion en terme d'utilisation de la magie. Quand les tribus unifiées de l'autoproclamé Empire des Tiste Edur déclarent la guerre au Royaume de Lether. Ce même royaume ordonne à ses mages de bombarder par magie et d'anéantir tous les villages de Tiste Edur. Sous prétexte de sauver des ressources et la vie de ses propres troupes, ce qui est une vérité indéniable. Et surtout, ce n'est pas la première fois que le Royaume de Lether commet le génocide et meurtre en masse de centaines de milliers de civils innocents de la manière la plus indigne possible: de loin, isolés en toute sécurité. prés de leurs frontières, laissant tomber la magie du ciel au-dessus. Cette démesure en terme de magie a permis au royaume d'écraser tout ces ennemis facilement mais contre les Edur, ils sont tombés sur un os de taille, un os qui va les dévorer.
Plus on avance et plus d'acteur rentrent en compte, et surtout des acteurs divins. Sur ce continent, notre cher royaume ne croit en aucun dieu et pourtant... Citation:
"Pourquoi ne pas vénérer l’argent ? Au moins, cette source de satisfaction se révèle évidente et immédiate. Mais non, c’était trop simpliste. La vénération à laquelle se livraient les Letheriis s’avérait bien plus subtile, l’éthique de cette dernière se trouvant liée à des traits et à des habitudes qui coïncidaient commodément avec l’acquisition de biens matériels. Diligence, discipline, dur labeur, optimisme, personnalisation de la gloire. Et leurs maux correspondants: paresse, désespoir et anonymisation de l’échec. Le monde se montrait suffisamment cruel pour séparer le bon grain de l’ivraie sans laisser aucune place au doute ni à une équivoque alambiquée. En ce sens, un culte pouvait se faire pragmatique, et le pragmatisme se manifestait sous la forme d’un dieu froid. L’Errant nous a gratifié d’un dieu froid afin que nous soyons libres d’agir sans contrainte. "
Un dieu qui veut sa revanche va apparaître et manipuler les Tiste Edur pour en faire son arme. Plus on avance et plus on va découvrir d'acteurs Edur, Andii, Démon, forkrull assail et maison Azath, sans en apprendre beaucoup ici sur ces espèces. Elles donnent de l'envergure à ce récit. Ce tome n'est ici que pour nous montrer le futur outil du dieu estropié. Cette convergence possède un final magnifique. Une conclusion amère et dramatique pour tous les personnages. Il n'y a pas de douceur comme dans Les Souvenir de la Glace ici. Et puis, pour moi aussi conclure, je crois que la plume d'Erikson est ici poussée à son paroxysme. Peut être suis-je habitué mais j'ai l'impression que tout était clair ici, aucun sentiment de confusion comme on le retrouve dans bien d'autre tome.
Un nouveau tome qui me permet encore de comprendre pourquoi tant de monde disent que Erikson est le meilleur auteur de fantasy. Le plus complexe avec le meilleur Worldbuilding, je pense que je peux lui décerner ce prix sans aucun doute. Pour ce qui est des personnages et de l'intrigue, je pense qu'il me faudra encore attendre... Mais il n'y aucun doute, ce tome fut pour moi un aussi grand monument que Les Souvenirs de la Glace. Ma clim s'est rallumé en pleine montée, pour vu que la suite ne soit pas un mur...