Les Misérables par Crevard

"Un des esprits les plus fins et les plus intelligents de ce siècle - André Gide - n'en a pas moins proféré certain jour une sottise considérable. Comme on lui demandait quel était le plus grand écrivain français, il répondit : "Victor Hugo, hélas !".

Cet "hélas !" intempestif a bien entendu été repris par tous les perroquets des lettres, toujours à l'affût de ce qui peut diminuer un grand homme. Et certes on dénombre chez Hugo bien des naïvetés, des gongorismes et d'énormes fautes de goût. Mais s'il fallait désigner la plus grande beauté terrestre, répondrait-on : "L'Océan, hélas !", à cause de l'écume impure que la mer laisse sur ses bords ? Ou : "La Forêt, hélas !", à cause de ses mauvaises herbes ? Le génie de Hugo n'est certainement pas un jardin à la française. Les Misérables ne rappellent pas le calme d'un joli lac bordé d'élégants saules pleureurs. Ce qu'ils rappellent, c'est un torrent de montagne, c'en est le flot tumultueux et cristallin qui peut entraîner avec lui, c'est vrai, racine tordues et autres débris, mais qui n'en forme pas moins la plus pure et la plus grandiose des forces naturelles. [...]

Prophète de la conscience, avocat de la misère, pilori de la violence et de l'injustice, peintre de la grande aventure humaine, maître des mots et seigneur du langage, tel apparaît l'auteur des Misérables. Vous pouvez ajouter "hélas" si vous voulez."

Vercors.