Les mots des riches, les mots des pauvres
Si messieurs Riche et Pauvre discutent si rarement le bout de gras ensemble, ce n'est pas tant que l'un vive cloitré dans sa villa et l'autre barricadé dans son F3. Afin de comprendre pourquoi autant de silence et d'ignorance éloignent ces deux individus, il suffit de plonger le nez dans Les mots des riches, les mots des pauvres de Jean-Louis Fournier.
Fort d'un humour cinglant et d'un œil perçant, celui-ci dresse le portrait de chacune de ces deux figures au travers de leur dissemblable vocabulaire – signe extérieur de leur condition sociale.
Déployé autour de soixante sympathiques-sarcastiques chroniques, ce petit recueil socio-linguistique offre une réalité à la fois tristement vraie et drôlement racontée. De saynètes en caricatures, Jean-Louis Fournier manie la langue avec une simplicité déconcertante pour évoquer ce gouffre verbal qui sépare le monde des riches de celui des pauvres. L'on apprend ainsi qu'en pauvre Cahiers du cinéma se dit « Télé Z » ou que Mercedes noire se traduit par carte orange. Avec les clichés du quotidien qu'il remanie à sa sauce, l'auteur se moque des conventions et blâme avec détachement le ridicule des distinctions de classes.
Publié pour la première fois en 2004, Les mots des riches, les mots des pauvres n'a pas pris une ride au moment de sa réédition cette année. Toujours agrémenté des illustrations de Jean Mineraud, éclatantes de vérité, l'ouvrage de Jean-Louis Fournier recense avec précision toutes les thématiques qui rythment la vie des riches et des pauvres. Au carrefour des bandes dessinées Les Bidochon (Christian Binet) et Tas de riches (Tignous), Les mots des riches, les mots des pauvres dresse l'inventaire lexical de Raymonde à Cunégonde et de Robert à Charles-Albert.
Faut-il préciser qu'il est important d'aborder ce livre avec un second degré bien décanté ? Parfois à la limite de la cruauté, Jean-Louis Fournier amorce derrière le ton de l'humour (noir) une critique sociale où rien ne sert de pleurer là où le rire permet de dédramatiser. Et l'auteur de le penser, le premier. Apprécié à sa juste valeur, ce petit ouvrage de 149 pages saura raviver le sourire à quiconque prendra le temps de le parcourir. Avec un style bien trempé, Jean-Louis Fournier se place définitivement comme fidèle compère de Desproges, avec qui il co-réalisait La minute nécessaire de Monsieur Cyclopède, et pour qui le pire n'est pas de railler les inégalités mais bien de les ignorer.