Incontournable Juillet 2023
Après avoir accueillit favorablement le diptyque "Dragonland", où l'aventure et les personnages modernes offraient un univers intéressant, puis avoir soupiré de découragement sur "Willy et Fenris", véritable condensé de gros clichés dans un univers bancal, voici que monsieur Heliot semble revenir au genre de monde qui s'axe davantage avec la qualité de Dragonland. Sorte de Steampunk post-pandémique, "Les mystères d'Anglefer" me rappelle la saga Silo, série adulte dans laquelle les classes sociales étaient organisées les uns sur les autres en hauteur, de la plus pauvre à la plus nantie.
Au sommet d'Anglefer, les habitants sont oisifs, ne manquent de rien au point de ne même plus l'apprécier et vivent sous un ciel radieux en respirant un air pur, logeant dans des bulles à l'architecture recherché. C'est dans cet Eden à la technologie mécanique complexe que vit Altaïr ( Tient? Comme l'assassin du premier opus de la saga Assassin's Creed?! Cool!) , fille du génie derrière cette techno en question. Si elle ( yup, c'est une fille) souhaite sortir de l'engluement dans lequel son esprit semble se perdre, torpeur que seuls les très riches semblent connaitre et apprécier, sa vie semble néanmoins toute tracée. Déjà, de jeunes ado, filles et garçons, voudraient bien être les premier.ères à lui mettre la main dessus, au bal donné en l'honneur de ses 13 ans. Voulant envoyer comme message qu'elle ne sent pas encore prête à devenir l'adulte engagée et intéressée qu'on attend d'elle, Altaïr commet un impair qui sera perçu comme un acte aussi snob qu'indélicat. Elle offre sa première danse à son "valet", un automate. C'était un cadeau très sophistiqué de la part de son père, qui lui retire suite à cette frasque, mais dans l'esprit de la jeune fille, des rouages sont en marche. Ceux d'un féroce désir d'émancipation. En dehors des bulles des Hautes Spères s'il le faut.
Sous la couche du Schmock, ce miasme concentré de pure pollution moiteuse et cancérigène, se tiennent les quartiers ouvriers. Sales autant de surface que d'air, pauvres comme l'étaient les quartiers ouvriers de l'ère industrielle en europe, les habitants ont de faibles espérance de vie et tentent tant bien que mal d'y survivre. Dans ce décor sombre où il faut couvrir son visage pour se protéger de l'air toxique, Ormo et ses camarades d'infortune ont bien faillit se noyer dans une version liquide du schmock, sorte de boue toxique qui coule dans les tuyaux d'alimentation de la ville. Les habitants ne sont pas seulement affamés et malades, ils sont aussi surveillés par un appareil de surveillance d'automates.
Les deux adolescents entreront en collision tôt ou tard. Leur collaboration viendra tout changer. Pour Altaïr comme pour Ormo, c'est plus qu'une simple question de justice sociale, c'est aussi une question de liberté.
Avec sa plume adroite et sa façon de traiter ses personnages, modernes et paritaires entre genre, je reconnais le style qui a façonné les Dragonland et il me plait beaucoup. Passant du Fantasy dragonesque au Steampunk, on retrouve tout-de-même le même sens de l'aventure et l'urgence d'agir entre les deux univers.
Si en soit l'idée du monde en structure pyramidale en hauteur n'est pas nouvelle, en témoigne "Silo", "Les Secrets d'Aramanth" ou même les train classé du plus riche au plus pauvre du "Perceneige", cette histoire mène bien son sujet. On imagine facilement les deux mondes et on peut imaginer que les besoins des plus riches sont aussi grandement le résultat des automates, pas seulement des pauvres diables sous le schmock ( J'aime ce nom, ça sonne comme une motte de boue qui s'écrase). Il me fait d'ailleurs penser à la zone d'ombre dans le Grishaverse de Leig Bardugo.
J'apprécie toujours que le personnage féminin ne soit pas juste la potiche décérébrée de l'histoire, ici Altaïr a peut-être été "secourue", elle reste une bonne tête et son courage sauvera d'innombrables personnes. Non seulement elle a un prénom fantastique, elle a aussi un indubitable sens moral et une tendance anti-conformiste digne des vrais rebelles ( pas de ces imbéciles vêtus de noir qui sont plus couillons que courageux que je croise beaucoup trop pour mon bien-être mental). Ormo pour sa part, possède une belle sensibilité et se positionne davantage dans le rôle du personnage de soutient sans prendre toute la place du fait d'être le personnage masculin, ce qui est en soi novateur. J'aimais bien les personnages du monde d'Ormo, également.
Petit détail, les enfants nés sous le schmock calcule leurs années en moites-saisons, alors que les enfants nés au dessus ont plutôt des douces-saisons. Une bonne idée, ma foi, qui ajoute une couche sur l'iniquité des deux mondes.
C'est un bon roman en tome unique pour initier le lectorat intermédiaire au monde Steampunk. Celui-ci possède aussi une ligne dystopique, puisque le système supposé protéger ses habitants à échouer à ce chapitre en favorisant la création de deux groupes distincts, dont une très petite élite outrancièrement bénie, pour une majorité de gens délaissés aux besoins primaires gravement carencés. Il est impossible de s'en échapper, le libre arbitre semble presque impossible et la concentration des pouvoirs est limité à pratiquement une seule personne. Il y a donc toute la question de la justice sociale, de l'éthique et de l'iniquité sociale dans ce roman.
Bref, une belle trouvaille!
Pour un lectorat jeunesse intermédiaire du 3 cycle primaire, 10-12 ans