C'est à la lecture du regretté D. Kalifa (Les Bas fonds. Histoire d'un imaginaire, Paris, 2013) que je dois mon léger vernis sur la littérature feuilletonesque à sensations.


Pour faire bref, le genre des Mystères, très en vogue au XIXè, est un peu nos émissions de pseudo-journalisme d'investigation. Ce qu'on baptise comme tel, ce sont les récits épisodiques du « monde sous le monde », l'envers du décor conventionnel et policé de la société, la description du grand dépotoir que cacherait la vitrine fausse et mensongère des grandes villes. C'est une réalité qui fascine, et qui se trouve donc inévitablement subvertie, stéréotypée, marquée par un réseau de représentations-repoussoirs (peuplées par la figure de la pétroleuse, du surineur, du chiffonnier, pour ne citer que les plus célèbres).


Je pense que pour qui est un peu familier de Huysmans, c'est une œuvre assez martienne. Quand on considère les thèmes qu'il traite d'ordinaire (l'authenticité, la quête du sacré et son pendant, la recherche du sacrilège), on s'explique difficilement qu'il se soit essayé à l'exercice d'un Sue ou d'un Feré, tous deux très friands de faits divers croustillants, d'explorations fantasmées des bas-fonds et de jugements moraux de ses gens.


Publié dans Le Gaulois, en 1880 (si je ne m'abuse pas), je dois reconnaître que ce petit ensemble de texte courts ne m'a pas trop touché.


En fait, Huysmans est un artiste (trop ?) égal : on sent bien qu'il refuse ici de se contrefaire dans une mode qu'il tenait pour une pollution littéraire (cf. : une lettre non datée reproduite dans Autographes et documents historiques, Drouot, vente du 18 décembre 1981). Il procède donc à son habitude, et ce autant du point de vue de la narration que du style, plutôt incompatibles avec un genre qui se veut superficiel et caricatural dans son traitement du vu et du vécu. Mode mal ingérée, mode mal digérée. Comment s'en surprendre ?


Je ne veux pas dire par là avec Huysmans que ces œuvres ne présentaient pas d'intérêt. Elles exprimaient, au moins implicitement, les craintes d'une société en pleine voie d'industrialisation, avec l'enfantement dans la douleur de la globalisation et la massification du paupérisme au XIXè siècle. Cela n'appelle aucun jugement de valeur. Il trouvait d'autres problématiques ailleurs.


Je n'ai donc malheureusement pas trouvé que cela faisait un bon Mystère.


Au surplus, pour essayer une hypothèse, je ne pense pas que Huysmans ait jamais été, même dès le départ, très intéressé par cette production. On sait qu'il ne portait pas Mayer, son commanditaire, dans son cœur (c'est le moins que l'on puisse dire, là encore je recommande de jeter un œil à ses communiqués !). Au jugé, et à considérer le 'métatexte' je dirais qu'il s'agit plus d'une production pour l'enveloppe.


Les Mystères de Paris de Huysmans, donc, en une phrase : ça ne fonctionne pas sur moi.
Tant pis ! Il a fait un tas d'autres trucs bien, et a pu exceller ailleurs.


Si le genre vous botte, préférez peut-être Sue, Feré, Pecqueur (dans une veine un peu moins sensationnaliste et plus politique). La liste est longue.

Porphyrogénète
3

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le 18 sept. 2020

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