Nains et elfes sont des créatures fantastiques du folklore scandinave. Nous les connaissons surtout à travers l'oeuvre de fantasy moderne du philologue J.R.R. Tolkien. Mais avant cela, ils possédaient une signification, au sein de l'ontologie (entendue comme science des êtres) des mythes. L'historien comparatiste et germaniste Claude Lecouteux tente rigoureusement d'en comprendre le mystère en écartant de son analyse la tentation de la démystification complète autant que celle de la mystification charlatanesque, de sorte à rendre compte de la valeur ancestrale des occurrences de ces créatures dans la littérature du moyen-âge, dans la perspective d'une histoire des mentalités.
Les nains appartiennent à l'un des neuf mondes (Nifelheim) installés sur l'arbre-monde Yggdrasil. Ils sont liés à la troisième fonction de par leur appartenance au régime chtonien (des profondeurs). Issus des profondeurs de la terre, liés à la roche, à la terre, à l'eau, les nains sont aussi réputés pour leur habileté d'artisans et leur cupidité. Nous disposons déjà d'un premier indice de leur lien avec une qualité de la troisième fonction : la richesse (matérielle). Voyons d'autres indices.
Pour rappel, la troisième fonction est la fonction du système tripartie analysé par Georges Dumézil des peuples indo-européens, à cheval sur l'Asie et l'Europe desquels descendent dans des héritages plus ou moins partiels des peuplades aussi diverses que les Germains, les Grecs, les Latins, les Celtes, les Slaves mais aussi les Iraniens, les Indiens et des peuples disparus comme les Hittites. Ces "peuples" seraient originaires d'une région du Sud de la Russie et ont conquis par vagues successives les territoires susnommés. Si j'évoque des peuples, c'est moins pour leur caractère ethnique que d'un point de vue linguistique. La question de leur homogénéité est largement controversée sans qu'il soit utile d'insister dessus dans la présente critique.
La troisième fonction est liée à la culture de la terre, si on veut, dont l'émergence coïncide avec la révolution agricole à l'age du néolithique : à cette époque les systèmes d'irrigation, l'élevage du bétail, la domestication du chien, la sélection artificielle des espèces, concourent à la sédentarité du mode de vie de l'humanité autour de l'ancienne Mesopotamie notamment, mais également dans certaines régions de l'Asie orientale.
On attribue des divinités à la troisième fonction (tantôt Njord ou Freyr/Freya chez les nordiques, Junon, Déméter ou Cérès chez les méditerranéens). Cette partielle mais nécessaire introduction visant à introduire finalement les nains au sein de ce système complexe.
Les nains (norrois : dvergr) se lient à la fertilité qui, comme chacun peut faire le raisonnement, est une des lois de la nature régie par le cycle destruction/renaissance. Et la destruction naturelle n'est autre que la mort. On commence à comprendre que le nain, soit qu'il est décrit d'une pâleur cadavérique (Alberich, Auberon de la racine I.E. Alb signifiant "blanc") , soit que son nom (zwerc) signifie "courbé", "tordu" rencontre la raideur cadavérique.
Or l'Elfe étant lui aussi un habitant originaire d'Alfheim (situé sur Yggdrasil) dont le nom signifie "être lumineux" et la lumière étant blanche, nous sommes en droit de nous interroger sur les liens qui unissent nains et elfes comme suggéré par le titre de ce livre.
Le nain, comme l'elfe, est la manifestation d'un ancêtre trépassé. Nous pouvons le déduire de ce que nous avons déjà dit, et en fonction de la lecture de Fantômes et Revenants du même auteur qui précède. Les créatures merveilleuses qui peuplent l'imaginaire médiéval appartiennent au domaine des morts, des génies du terroir précédemment analysés par Lecouteux, liés à la place prépondérante du culte des ancêtres et des morts dans les sociétés ancestrales, lui-même relié à la troisième fonction.


Néanmoins, car les choses deviendraient trop simples sans contradiction, les elfes peuvent être " noirs" (mauvais) ou "sombres" (neutres) selon certaines sources plus ou moins tardives. Ainsi, Lecouteux suggère de procéder à une analogie morale entre nains = elfes sombres correspondant aux génies tutélaires "malefiques" et elfes blancs correspondant aux génies tutélaires "bénéfiques".


Que les nains aient partie liée avec les géants, précédemment analysés dans Génies du terroir, tandis que les elfes ne l'ont pas, est avéré par les sources.


Pour mémoire, les géants sont des créatures matricielles de toutes les espèces fantastiques. Dans le cas des nains, le raisonnement est le suivant: puisque Loki, dieu à la nature incertaine entre Vane et Ase, patronne les nains selon les sources, et puisqu'il s'allie aux géants lors de Ragnarôk, alors il est plus que probable que les nains sont une hypostase (personnification) négative des géants et des dieux Vanes après avoir procédé à leur individuation.


Nous pouvons ainsi en conclure l'équivalence simplifiée suivante : Nain =Géant = Revenant.

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le 2 juil. 2023

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