"Il est des lieux où souffle l'esprit" écrivait Maurice Barrès dans son Incipit de "La colline de Sion", il est aussi des bouquins où l'esprit souffle en rafales, avis de tempête intellectuelle. Les Particules élémentaires sera à la seconde partie du XXième siècle ce que la comédie humaine fut au XIXième: une représentation parfaite de la vie des hommes. Lévi-Strauss peut aller se rhabiller, Houellebecq fait de l'anthropologie de haut-vol.
Michel Houellebecq est mon auteur contemporain préféré. Il est pour moi, celui qui cerne le mieux les enjeux de notre société, les tenants et les aboutissants de notre monde, les rapports de force de notre civilisation, bref, la condition de l'homme moderne.
Les "Particules élémentaires" est sans doute son roman le plus abouti. Une réflexion globale sur la société post-soixantuitarde, celle de la liberté individuelle qui écrase tout, du désir permanent, de la volonté de jouir de tout, tout de suite et sans entrave. Michel Houellebecq décrit deux enfants de cette société, deux demis frères, Bruno et Michel, nés de la même mère, jouisseuse professionnelle, passionnée par le sexe, par ses désirs, par ses envies, qui délaisse sa famille pour profiter de sa vie qui sacrifie sur l'autel de l'individualisme, sa vie de famille et par là même, l'éducation de ses enfants.
Michel et Bruno grandissent séparément, tout deux traumatisés par les scènes de débauche de la vie maternelle, par l'abandon dont ils sont victimes, par la folie du monde qui les entoure. Ils développent des peurs et des névroses qui jamais ne les lâcheront, il font partie des dommages collatéraux d'une société qui prône l'individu et sa liberté avant tout.
Michel grandit chez sa grand-mère maternelle, femme simple qui passa sa vie à travailler non pas pour elle, mais pour les autres, l'opposé de sa mère. Bruno, lui, grandit en internat dans un lycée de Meaux où il subit les plus atroces bizutages. Au sentiment d'abandon s'ajoute celui de la solitude et de l'humiliation, la déréliction est totale.
Alors, ils grandissent, tous deux séparéments, Michel devient un physicien respecté pour ses travaux sur le génome humain, menant une vie quasi-asexuée et solitaire. Bruno devient prof dans un lycée, obsédé par la réalisation de ses fantasmes sexuels, et tout aussi solitaire.
Leurs vies ne sont faites que de désillusions, d'espoirs déchus, de fantasmes inassouvis, de solitude et d'abandon.
Michel Houellebecq décrit le monde moderne, celui de l'ignorance de son prochain, de la concurrence débridée pour l'accès à toutes les ressources ( économiques, sociales, sexuelles...) qui laisse sur le bas côté ceux qui ne s'y adaptent pas, de l'individualisme généralisé, de la consommation comme seule issue possible.
Alors, comme souvent dans les romans de Michel Houellebecq ( cf "La possibilité d'une île"), la solution à tous les problèmes de l'homme est trouvée grâce au personnage de Michel: le remplacement de l'espèce humaine, par une espèce nouvelle, stérile et immortelle, pour faire disparaitre les deux maux de l'humanité: la reproduction et la peur de la mort.
Alors, l'espèce humaine disparait d'elle-même, consciente de sa finitude, de son imperfection et de son aliénation à la mort.
Il y a quelque chose d'Huxley chez Houellebecq dans la façon qu'il a d'annoncer l'avènement d'une société terrible qu'il semble pourtant appeler de ses vœux, comme une évidence dont lui, l'observateur hors du tumulte, a vu l'impétueuse arrivée.
Il y du Huysmans bien sûr dans sa façon déprimée, pleine de lassitude et d'ennui, de décrire une fin de siècle qui s'éternise.
Il faut lire Michel Houellebecq car sa réflexion est globale, puissante, et humaine.
Chaque paragraphe, chaque ligne, chaque mot ajoute à la souffrance d'une humanité qui n'en peut plus, cette grande lassitude ne prendra fin qu'avec la disparition de l'homme. Cette disparition est acceptée avec abnégation et résignation par une espèce qui s'est voulu Démiurge mais qui n'a pas su porter son fardeau.
"Et quand il faudra fermer le livre,
Ce sera sans regretter rien,
J'ai vu tant de gens si mal vivre
Et tant de gens mourir si bien"
Louis Aragon.