Je comprends pourquoi la comédie humaine est une des inspirations de Karl Marx.
Les Paysans est un tableau miniature mais tellement précis de la situation économique et sociale du milieu rural et paysan.
Ce que raconte le récit de Balzac c'est notamment les conséquences de l'abolition des privilèges, des droits féodaux, et la manière dont tous les parvenus plus malins que les autres ont réussi à mettre la main sur les biens et les moyens de production, comment une domination en a remplacé une autre.
Les seigneurs ont perdu leurs droits au profit d'autres possédants. Ceux-ci se sont émancipés des anciens ordres mais pour en établir un nouveau, et Balzac décrit avec une précision remarquable leur main mise, au niveau local, sur toutes les institutions administratives et juridictionnelles.
Mais au-delà des bouleversements politiques, à travers le panel extraordinaire des personnages et le vocabulaire juridique abondant, Balzac montre bien que la campagne et ses composantes sont très concrètement des productions de richesses, des biens à faire fructifier, et à ce titre l'exemple de la forêt, fil rouge du roman est remarquable. Ce sont moins des arbres et du bois mort que des marchandises.
Enfin, comment ne pas frissonner devant les éclairs de lucidité du grand Balzac mis à l'écrit par ces phrases limpides qui abondent dans son oeuvre. Lors d'un passage qui relate la contestation des habitants (l'ecrasante majorité des laissés pour comptes ne prenant part à la passation de pouvoir) d'une décision prise par le protagoniste Montcornet, il écrit ces mots prophétiques : "la question sociale se dessinait nettement, car la faim avait convoqué ces figures provocantes".