Pratchett montre toute l’étendue de son talent dans ce treizième roman du Disque Monde.
Le monsieur savait écrire une fable satirique potache, pas de doute là-dessus. Mais l’art qu’il maîtrisait encore davantage, et ce roman en est la preuve tangible, c’est bien celui provoquer la réflexion en mettant ses personnages face à leurs propres doutes et incertitudes.
Je l’avais déjà vu faire preuve de ce talent en lisant les bouquins de la Garde, dans lesquels les personnages se surpassent et transcendent leur condition dans l’adversité, mais les Petits Dieux va encore un cran plus loin.
Ici, on assiste à l’évolution, voire la transformation de Frangin, d’un prêtre novice à l’intellect limité, et celle du dieu Om, réincarné en tortue, dont la cité d’Omnia, bâtie à sa gloire, n’abrite plus que des évêques belliqueux qui se préoccupent davantage des infidèles - et du châtiment qu’on leur réserve - que de leur dieu lui-même. La trouvaille géniale du bouquin : les dieux prennent forme selon la ferveur de leurs fidèles. Les « grands » dieux accèdent au panthéon, tandis que les « petits » errent dans un désert sans fin dans l’espoir que quelqu’un daigne croire en eux.
Le sujet est délicat - la religion, ses dérives, et l’impact qu’elle peut avoir sur les croyants et les non-croyants -, mais son traitement est parfait.
Les Petits Dieux est un roman à part, qui prend son lecteur très au sérieux en lui posant des questions existentielles entre deux tranches de rires.
On retiendra aussi un antagoniste absolument effrayant, un rythme effréné et une fin bluffante qui condamne la religion autant qu’elle en fait l’apologie.
Le genre de bouquin qui bouleverse l’expérience du lecteur et qui transcende le médium. Un « petit » - non, un grand - chef d’œuvre.
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Le mensonge n’a pas cours ici. Les chimères disparaissent. C’est le cas dans tout désert. Il ne reste que soi-même et ses convictions.
Lesquelles?
Que normalement, quand on a vécu plutôt correctement, non pas selon les directives des prêtres mais selon son sentiment intime de la décence et de l’honnêteté, la fin ne devrait pas trop mal se passer.