Mikael Bergstrand, écrivain suédois inconnu de votre serviteur mais visiblement très apprécié par son libraire, est l’auteur d’une trilogie qui rencontre un certain succès puisque le premier tome, Les plus belles mains de Delhi, s’est tout de même écoulé à plus de 15 000 exemplaires dans son pays. Rappelons pour les plus distraits, qu’en ces temps de disette culturelle et de crise du livre, un éditeur sabre le champagne à partir de 10 000 exemplaires et se paie une Rolls Royce à partir de 100 000 (oui je sais, c’est mathématiquement impossible, pas la peine de m’écrire pour me signaler qu’aucun éditeur français n’a les moyens de rouler en Rolls Royce phantom).
Dans Les plus belles mains de Delhi, un quinquagénaire originaire de Malmö (Göran Borg) se découvre une passion pour l’Inde et décide de s’y installer. Oui bon, en réalité Göran vient de perdre son boulot de webdesigner et n’encaisse toujours pas que sa femme l'ait quitté pour un bellâtre au portefeuille bien rempli il y a de cela quelques années. Alors le bonhomme déprime plus ou moins, cesse de surveiller sa ligne en s'empiffrant de crème glacée Ben & Jerry, traîne des journées entières sur d’obscurs forums consacrés au football club de Malmö et finit par perdre toute estime de lui-même. Alors quand l’un de ses plus vieux potes l’invite à partir séjourner deux semaines en Inde, Göran finit par se laisser tenter, pas tout à fait convaincu par l’intérêt du voyage, mais légèrement terrorisé à l’idée de se retrouver seul dans son appartement vide, sans boulot, sans femme et sans enfants puisque ces derniers vivent leur vie de jeunes adultes insouciants. Las, arrivé en Inde, Göran réalise que le voyage organisé par son ami ne fait pas exactement partie du gratin des tour operators : transports en bus interminables et inconfortables, hôtels miteux, restaurants douteux et visites touristiques à la limite du cliché. Pour l’authenticité tant promise, il faudra repasser. Pour couronner le tout, Göran est atteint dès les premiers jours d’une intoxication alimentaire qui le cloue au lit. Impossible pour lui de continuer avec le reste du groupe. Son ami Erik le laisse donc aux bons soins d’un certain Yogi, un Indien jovial et bon-vivant, éternel optimiste toujours prêt à voir la vie du bon côté. En compagnie de ce petit homme replet qui ne paie pas de mine, Göran découvrira l’Inde véritable, celle des contrastes ahurissants où la modernité côtoie la misère la plus effrayante, où les tours de la Silicon Valley indienne jouxtent les bidonvilles surpeuplés. Mais dans ce pays étonnant, notre Suédois découvrira aussi l’amour et s’ouvrira à nouveau à la simple joie de vivre.
Léger et enlevé, voilà ce qui caractérise le mieux ce roman sans prétention écrit sur un ton vif et légèrement ironique. N’y cherchez pas un récit d’une grande profondeur ou une étude sociologique de l’Inde moderne, pas plus que vous n’y trouverez un guide touristique rempli de promesses de couleurs, de sensations ou d’odeurs que l’on associe forcément à ce pays. Le roman est même assez trivial, observant néanmoins l’Inde avec une certaine curiosité et ponctuant de nombreux chapitres de remarques assez fines sur les moeurs et les habitudes d’une contrée que l’on imagine forcément exotique (les ravages d’un soubresaut d’Orientalisme). Cette sobriété est finalement la bienvenue, nous épargnant ainsi de nombreux clichés et même tout misérabilisme. Le roman est finalement un point de vue sur la classe moyenne indienne, que l’on découvre avec un certain plaisir et même une grande dose de bonne humeur, à l’image de nombreux personnages que l’on y croise. De quoi secouer bien fort, et avec une pointe d’humour, les poncifs habituels ; on n’en attendait pas autant.