Après la lecture du bouleversant La Tombe des Lucioles, j’avais envie de me familiariser un peu plus avec Nosaka, écrivain nippon atypique dont l’écriture m’avait semblé si poétique et en même temps si crue et réaliste. Changement radical d’atmosphère avec son premier roman Les Pornographes. Il est vrai qu’avec un tel titre je ne pouvais que m’estimer prévenue, d’autant plus que je connaissais la propension de l’auteur à appeler un chat un chat (expression qui par bonheur ne se met pas au féminin, ouf !)
Tokyo, début des sixties. Pour tenter de survivre dans cet univers qui cherche à oublier la guerre et s’ouvre au consumérisme, deux potes, Subuyan et Banteki mettent au point de petites combines pas toujours très légales. C’est ainsi qu’ils vendent des images coquines ou enregistrent sans grands moyens techniques les ébats sexuels de leurs voisins d’immeuble pour vendre ces enregistrements à un public averti mais pas très regardant. Le résultat est évidemment un peu cheap et plutôt minable. Très vite, ils conviennent qu’il leur faudra produire des œuvres de meilleure qualité s’ils veulent satisfaire une clientèle plus exigeante et fortunée. C’est que, dans le domaine du sexe comme ailleurs, l’heure est à la performance et nos deux comparses ont tout intérêt à se dépasser s’ils veulent doper leur business. Ils en viennent donc, avec quelques autres individus du même acabit, à former une petite bande spécialisée dans l’élaboration de films X aux prétentions artistiques et autres activités connexes dignes de leurs talents de pornographes : trafic des fausses vierges, élaboration de parties fines et tutti quanti.
Si l’histoire tourne essentiellement autour des (més)aventures de nos spécialistes autoproclammés du sexe, elle nous plonge par la même occasion dans ce Japon de l’après-guerre où le mot d’ordre semble être la jouissance sans entraves pour effacer les souvenirs douloureux - le récit rétrospectif de la découverte par Subuyan du corps de sa mère après un bombardement étant à cet égard de nature à soulever les cœurs et à dresser les cheveux sur la tête. Certes, l’hypocrisie est toujours à la mode et l'Etat continue à criminaliser ce qu’il considère comme des perversions coupables et une atteinte aux bonnes mœurs (Subuyan est plusieurs fois inquiété pour ses activités) mais il semble bien que la libération sexuelle et la recherche du plaisir constituent une vague déferlante contre laquelle les autorités ne peuvent pas grand-chose. Quinquas en mal de sensations fortes, midinettes ou lycéennes à peine pubères, tous se lancent à corps perdu, si l’on peut dire, dans la quête de la performance sexuelle et tout ce qui peut constituer une entrave est largué ou combattu, la virginité comme l’impuissance. Et gare si la machine s’enraie! C’est ainsi qu’on assiste amusé aux déboires de Subuyan frappé d’impuissance à partir du jour où quelques mois après la mort de sa femme, il cherche à séduire sa belle-fille, à moins qu’il ne s’agisse du contraire – d’où le titre de la critique. Inutile d’en dire plus, je vous laisse imaginer les moyens qu’il mettra en œuvre pour tenter de remédier à son infortune.
Le tout, comme on pouvait s’y attendre, est raconté dans un style hyper réaliste non dénué d’humour. Certaines scènes, comme la veillée funèbre de la femme de Subuyan au cours de laquelle toute la fine équipe visionne des films pornos peuvent être considérées de véritables morceaux d’anthologie de la pensée subversive. On sent bien que Nosaka cherche à fustiger la bien-pensance en mettant en scène des personnages hors normes qui ne cherchent pas simplement à se faire du fric facile mais qui peu à peu se découvrent investis d’une mission : réaliser des œuvres d’art pour Banteki, œuvrer en philanthrope au bonheur de d’une humanité souffrante, ces "affamés du calebar", pour Subuyan. Reste que malgré les buts avoués, nos pornographes ne semblent pas vraiment s’éloigner de ce qui semble constituer la pensée dominante du Japon de l’époque : la performance à tout prix, l’accès effréné aux biens de consommation dont désormais les corps font partie intégrante. Ajoutons à cela les procédés parfois limites dont usent les personnages pour arriver à leurs fins, l’accumulation parfois soulante de blagues de potaches, les détails "techniques" plutôt répétitifs, les concours de quéquettes racontés dans les moindres détails (c’est vrai ça, à partir d’où faut-il mesurer, hein ?), une intrigue qui se réduit à une suite d’événements qui, mis bout à bout, ont du mal à ressembler à la trame d’une histoire, à l’image de ces existences où incidents et imprévus semblent se succéder au hasard et avec lesquels chacun compose comme il le peut. Reste que l’ensemble m’a laissé une impression mitigée : celle d’être confrontée à un univers où rire et faire la fête semble toujours un peu triste (et que dire des après-fêtes!), où les personnages sont de pauvres types qui vivent au jour le jour sans véritable but ni grand plaisir au fond, la plupart d'entre eux étant à leur manière des frustrés sexuels. Chacun fait ce qu’il veut (ou plutôt ce qu’il peut) de sa vie, mais je n’ai vraiment pas eu l’impression que celle des pornographes menait à la plénitude.