Ce texte n'est pas un roman. Pas même, à proprement parler, un recueil de nouvelles. C'est une succession de très courts textes (4 pages en moyenne). Des portraits de personnes que l'auteur a rencontrées, des descriptions de paysages qu'il a vus. Avec, en filigrane, les valeurs auxquelles il est attaché.
Luis Sepulveda est chilien. Cette information peut paraître d'un affligeante banalité. Mais, entre 1973 et 1989, quand on est chilien (et militant de gauche), on a l'impression d'être en enfer. Sepulveda sera détenu pendant 2 ans et demi dans les prisons de Pinochet (je n'ose imaginer ce qu'il a dû subir pendant ces interminables mois) puis contraint à l'exil. Un voyage forcé qui se transformera en amour du voyage. Sepulveda est un infatigable voyageur, et c'est déjà cet amour du voyage qui se reflète dans ce livre, qui nous entraîne de l'Amazonie à l'Indonésie en passant par Hambourg, la Yougoslavie ou Israel.
Ce livre nous en apprend beaucoup sur son auteur. Son amour de la nature, par exemple. Ainsi, sa description du Parc de Manu, dans l'Amazonie, un havre de paix naturelle préservé de l'avidité commerciale qui ravage la forêt (mais pour combien de temps ?) ("Dures sont les graines du cusculi, mais elles ramèneront dans ses rêves toutes les bouches avides qui reçurent sa saveur aigre-douce au temps de l'amour. Âpres sont les graines d'achiote, mais leur pulpe rouge orne les visages et les corps des élues. Piquantes sont les graines de la yahuasca, peut-être parce qu'elles dissimulent ainsi la douce liqueur qu'elles produisent et qui, bue sous la protection des vieux sages, dissipe le tourment des doutes sans fournir de réponses, mais en enrichissant l'ignorance du cœur"). Ou ses différents portraits de personnages qui se battent pour préserver la nature (comme Lucas Chiappe, en Patagonie) ou qui vivent en harmonie avec la nature, s'excusant presque du moindre petit dérangement qu'ils peuvent y produire ("Ainsi, lentement, il s'endort, reconnaissant de faire partie de la nuit sauvage. Du mystère qui l'apparente à la minuscule larve et au bois qui gémit tandis que se tendent les muscles centenaires d'un ombu").
L'autre thème majeur du texte, c'est la résistance. De nombreux personnages sont des résistants à différentes dictatures. Un poète Juif lituanien qui se bat contre les Nazis. Des femmes qui surmontent les tortures des soldats de Pinochet. Le livre fourmille d'histoires de ces hommes ou femmes qui se sont battus contre les oppressions (y compris économiques, comme Rosella, dont la ville d'Asti a décidé de fermer le restaurant). Des combats qu'ils ont parfois perdu, mais qui n'ont jamais été inutiles. Car chaque combat mené contre les tyrannies porte ses fruits, ne serait-ce que par l'exemple qu'il donne. Le texte qui ouvre le livre (et lui donne son titre original, Histoires Marginales) nous rappelle que l'un des buts de l'écriture, c'est la mémoire. C'est clairement l'un des enjeux que s'était fixé Sepulveda ici.
Et puis, enfin, il y a les rêves. Dans un des textes, Sepulveda nous parle d'un de ses rêves récurrents. D'autres nous font rencontrer des rêveurs, des personnes qui, contre vents et marées, vont au bout de leurs rêves, comme ce Monsieur Simpah, ou Monsieur Galvez, professeur exilé par la dictature chilienne et qui, après avoir rêvé de ses élèves, se réveille avec de la craie sur les doigts.
L'écriture de Sepulveda est d'une grande poésie. Une écriture qui transforme en splendeur les actions parfois quotidiennes de ses personnages. Une écriture qui nous donne l'envie du voyage et de la rencontre. Rencontrer des hommes et des femmes comme ceux qui l'on voit ici. Comme cet homme qui parle aux bateaux qu'il amène se faire dépecer, pour leur raconter les souvenirs des mers traversées. Ou cet Italien qui a réussi sa vie grâce à une incroyable succession d'erreurs. Ou ce plombier chilien qui ne travaillait que dans les quartiers les plus pauvres, car c'est là qu'on a le plus besoin de lui.

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le 14 avr. 2013

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SanFelice

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