Je viens de découvrir Cavanna, oui, il est temps, et pourtant mon père avait essayé sans succès de me les mettre dans les mains à l'adolescence. Il a réitéré suite à la récente disparition de l'auteur, grand bien lui en a pris !
Après avoir beaucoup apprécié les Ritals, j'ai donc poursuivi avec les Russkofs, la suite de l'autobiographie de Cavanna, qui disons-le a été une sorte de grosse claque. Le livre raconte la seconde guerre mondiale telle qu'elle a été vécue par François Cavanna, d'abord les journées de l'exode, puis sa réquisition au STO en Allemagne.
La première force du livre, c'est la vision de la guerre "terre à terre" et sans les informations historiques qui dans les autres romans sur la guerre donnent une vue d'ensemble du récit et appliquent un filtre "analytique" au récit. Là, Cavanna nous livre ses impressions de l'époque telle qu'il les a vécues, les sensations qui en ressortent sont celles de chaos, de désordre et d'absence d'informations qui empêche de comprendre les événements à grande échelle ; nous sommes ballottés avec le narrateur en fonction des circonstances et sans pouvoir rien y comprendre. Ce n'est que de temps en temps que l'auteur nous révèle que ce qu'il s'est en fait passé c'est que l'armistice de Vichy a été signé, ou qu'un attentat a été commis contre Hitler, ce qui finalement explique les événements précédant. Mieux que jamais on se rend compte que l'Histoire ne se résume pas à des frontières et des lignes de front sur des cartes mais que c'est avant tout des destins bouleversés pour des guerres absurdes. Enfin, ce doit être l'un des seuls romans traitant du STO qu'il m'a été donné de lire (je ne dis pas que c'est le seul mais j'ai l'impression que les livres sur la seconde guerre traitent plus souvent des camps de concentration, ou de la Résistance). Voilà pour le côté historique de l'affaire.
Et après, il y a Cavanna, et le style de Cavanna, et l'histoire de Cavanna. Cavanna, qui au fil de ses tribulations se forge une philosophie humaniste fortement anti-militariste et anti-patriotique : peu lui importe que les victimes de la guerre soient Françaises, Russes ou Allemandes, la souffrance est universelle et tout uniforme peut cacher un salaud. Cavanna, qui au milieu de l'apocalypse découvre de la beauté, de la grâce, de la chaleur, de l'amour. Et, oui, Cavanna amoureux, qui nous parle de Maria, son premier grand amour avec pudeur et exaltation, qui comme tous les amoureux flotte sur son petit nuage ou nage dans le bonheur, comme on voudra, quand bien même le décor est celui d'un camp STO. Il nous livre toutes ces expériences, heureuses ou atroces, dans une écriture parfaite et très généreuse, proche d'un style oral, parfois vulgaire, parfois très pudique, basculant à tout moment dans la poésie. S'arrêter au vocabulaire parfois cru serait une erreur, manifestement il maîtrise parfaitement l'usage de la langue française et s'amuse avec, et peut à tout moment passer d'un registre à l'autre sans manquer d'ironiser sur le sujet. J'admire.
A part ça attention, ce livre m'a filé le bourdon pendant une bonne partie du week-end de Pâques, j'ai eu le coeur un peu brisé quand même, phénomène suffisamment rare dans sa forme littéraire pour être signalé.
Je vais devoir investir dans tous les livres de Cavanna, je pense.