Cela fait un petit moment déjà que j'ai écouté les cours de Michel Onfray sur sa contre-histoire de la philosophie et j'avais la curiosité de voir dans quelle mesure cette transposition à l'écrit allait pouvoir synthétiser un propos qui m'avait semblé jadis un brin foutraque.
J'ai toujours eu à l'égard de la philo un rapport compliqué, mélange de fascination, grand intérêt et rejet face à l'abstraction et le manque de structure que j'ai eu le sentiment de percevoir chez mes profs avec des cours partant volontiers dans tous les sens pendant que mes cours d'histoire paraissaient plus aisément charpentés, bâtis sur des liens de cause à effet plus faciles à appréhender pour moi. Je retrouve ici avec Michel Onfray le même sentiment. Sa propension à se répéter à de trop nombreuses reprises dans son ouvrage accentue ce sentiment d’idées pas toujours bien rangées, de débordement que j'avais déjà perçu à l'oral.
Le second écueil est la désagréable sensation qu'il élude sciemment la nuance dans ses propos. Effet bulldozer ou éléphant dans un magasin de porcelaine qui fait tâche pour une œuvre philosophique. Je crois comprendre que cette nuance existe pour lui, qu'il l’entend comme telle, mais qu’il se refuse à l’employer pour mieux se faire comprendre. Ça me dérange qu’il systématise sans arrêt et mette les idées et les hommes dans de très petites cases, sans espace pour la finesse et la nuance. Michel Onfray est loin d'être un imbécile, il est capable de nuances, on le sent. Les nuances sont dans un coin de son raisonnement et pourraient sortir au jour, mais il se l'interdit. Impression très déplaisante de simplification outrancière, de vulgarisation déformante. Parfois il s’y autorise, plus souvent non. Du moins est-ce une impression qui semble se confirmer au fur et à mesure que la lecture avance.
Et du coup, on se demande où commence le prosélytisme, le militantisme, le jugement de valeur et le récit historique. Certes, il s'agit de philosophie mais ancrée dans l'histoire de la pensée. Et plus je lis cette contre-histoire, plus je doute de son historicité tant les opinions accompagnent les faits. Le travail de démêlage est ardu. À la fin, ce que j’avais déjà pensé à l’oral se confirme : il ne s'agit pas d'un ouvrage rigoureusement scientifique, mais plutôt d’un pamphlet contre l'histoire dite officielle, avec tout ce que cela signifie d'anathèmes, de ressentiments personnels contre les anathèmes et ressentiments traditionnels ou établis.
Est-ce que je peux dire que c'est dommage ? Même pas. D'abord, c'est une liberté de l'auteur qu'il ne me viendrait pas à l'idée d'exclure, qu’au contraire il vaut mieux saluer (mon libertarisme bourgeonnant !). Car cette liberté lui sert de moteur manifestement pour mettre en lumière des auteurs et des idées injustement passés sous silence. Sur ce point, l'œuvre de Michel Onfray se révèle salutaire, au moins en langue française. Comment aurais-je pu faire connaissance de Philodème de Gadara sans cet ouvrage ?
La contre-histoire de la philosophie sur ce premier tome des sagesses antiques est un ouvrage partial certes, mais dont l'apport reste indéniable, tant en terme de connaissances que dans celui d’une réflexion sur l'historiographie philosophique.