J'appréhende toujours la lecture d'un roman de Henry James. Sans doute parce qu'il s'agit de mon romancier préféré (je me permets d'émettre une préférence uniquement parce que ma culture littéraire est faible... dans le monde du 7ème art, par exemple, j'ai un bagage un peu plus gros et il me paraît plus difficile de désigner une telle place) et que je sais que, tout autant préféré qu'il soit, il n'est pas à l'abris d'une critique négative en cas de déception. C'est même plus risqué, peut-être, étant donné l'attente que j'ai à chaque fois que j'ouvre un de ses romans : va-t-il me combler ? va-t-il satisfaire mes attentes ? Et un jour cela arrivera, simplement parce que personne ne peut écrire parfaitement du premier au dernier jour. Il est peut-être plus facile pour un romancier de renoncer à l'écriture d'une oeuvre en cours dans le sens où la production est lente et qu'elle implique moins de gens et moins d'argent qu'un film, il reste tout de même l'illusion d'y croire. M'enfin, j'espère ne jamais le découvrir ce roman... encore que? les déceptions font partie de la vie et il serait dommage de s'en priver, même en tant que lecteur d'un auteur. Soit...
L'idée de base est très intéressante. Comme souvent, Henry James s'y tient sans trop dépasser : ainsi donc le roman se déroule autour d'une idée principale, quelques unes secondaires et l'auteur exploite cet univers avec le plus d'approfondissement possible et en prenant son temps. Prendre son temps c'est bien surtout quand on écrit bien et que ça n'est pas gratuit. Ainsi donc, les longues descriptions servent à mieux saisir l'essence même de l'action et James, s'il pond de longues phrases, ne s'éternise pas pour autant sur des détails futiles, ses descriptions sont même assez brèves en fait. Les situations sont bien trouvées, l'avancement de l'intrigue toujours logique, y compris le développement final (que je n'ai pas vraiment envie d'appeler retournement de situation). Les personnages sont intéressants, traités avec jusqu'au-boutisme même si cela rend certains passages cruels. Parce qu'il faut bien dire que le personnage principal est une vraie ordure (tout comme la vieille peau). Mais James parvient à nous situer au niveau de ce premier, simplement par l'utilisation de conflits qui le rendent humain et attachant (le nécessaire pour une identification réussie).
SI je ne suis pas pleinement satisfait de cette intrigue, c'est parce que ça m'a paru trop court, que l'auteur aurait pu ajouter quelques scènes supplémentaires et jouer davantage avec les personnages. Sans non plus en faire trop (au-delà de 300 pages, ç'aurait été indécent pour un sujet si simple), juste pour exploiter un peu plus l'univers et confronter les personnages un peu plus souvent (ç'aurait été sans doute gratuit car les personnages se sont dits tout ce qu'ils avaient à dire, mais quelques petites digressions peuvent parfois être salvatrices quand elles sont bien diluées).
Le style de James joue beaucoup dans mon appréciation de son oeuvre. Il écrit des sentences longues mais structurées, on ne perd jamais le fil, c'est clair, limpide, riche en détails, des détails toujours utiles, rarement gratuits. L'auteur impose un certain rythme de lecture de cette manière, et cela lui permet de se démarquer de bon nombre d'auteur (d'hier et d'aujourd'hui). Bien sûr, c'est une version française que j'ai eu entre les mains, on peut donc remercier le traducteur pour faire du bon boulot. Mais vu que l'on reconnaît le style de l'auteur malgré le changement de traducteur, je pense qu'on peut dire que c'est quelque chose de restitué depuis le texte original. J'apprécie aussi le fait que l'auteur n'use pas un vocabulaire très compliqué, ce qui rend ses écrits très accessibles (une fois qu'on parvient à digérer ses longues phrases). Et pourtant, malgré un choix de mots restreint, il parvient à dépeindre tout un univers, à rendre ses personnages, ses lieux palpables.
Un des points forts de l'oeuvre de James et que l'on retrouve ici, c'est le côté philosophique. Qu'il doit peut-être à son frère (philosophe, William James). C'est d'ailleurs grâce à mon cours de philo que j'ai découvert ces deux auteurs. Et je dois dire que je me retrouve dans leurs pensées. Dans ce roman-ci, il est question de possession mais aussi d'existence d'une personne au travers d'objets, de souvenirs, au travers même d'une personne (chaque fois que l'on voit cette vieille femme, l'ombre de Aspern n'est pas loin). Le traitement des personnages en dit également long sur la vision des hommes qu'a l'auteur. Et même si Henry James les condamne, il semble accepter et même apprécier les défauts de ceux-ci.
Bref, j'ai passé un excellent moment à la lecture de ce roman.