Je n’aurais probablement jamais lu ce livre si Brian De Palma et son épouse n’étaient pas passés faire une séance de dédicace dans une librairie à 15mn de chez moi, et si le seul objet qu’ils acceptaient de signer n’était pas ce roman, fruit de leur collaboration.
J’adore De Palma en tant que cinéaste, mais je suis las des livres de fiction depuis un moment, et les derniers films du réalisateur de Blow out et Pulsions ne valaient pas grand chose.
Alors le voir s’improviser romancier à 77 ans, c’était inquiétant.


Déjà, notons que ce bouquin coûte 16€, et ça sent l’arnaque dès qu’on l’ouvre : il y a 300 pages alors qu’au vu du volume j’aurais dit 500, donc c’est imprimé sur du papier épais, en gros caractère, avec un espacement large, et il y a un espace à chaque paragraphe !
L’histoire, telle qu’elle nous est présentée au verso, concerne Barton Brock, directeur de campagne du sénateur Crump (aucun rapport avec Trump, vraiment… le livre a été écrit avant, et les auteurs n’ont pas pris la peine de modifier ce nom qui laissait imaginer une satire), qui risque de perdre face à Lee Rogers, politicard qui a la côte et coureur de jupons. Brock cherche à faire chanter l’opposant en se servant d’une femme fatale découverte par hasard… dans un McDo.
On pense que ça va être le cœur du récit, mais pas du tout : le plan échoue, Brock rejoint le staff de son adversaire sans même hésiter, et la suite du roman part dans des directions complètements différentes, qui ne cessent de changer, si bien que tout du long je me demandais ce que ça racontait.


Le récit suit alors en parallèle plusieurs personnages, dont l’employée de fast-food, Elizabeth, qui passe par la case prison et perd la garde de ses enfants, et on n’entend plus jamais parler d’eux par la suite, au point que j’ai failli les oublier.
En attendant que toutes les intrigues se rejoignent en fin d’ouvrage, les personnages vivent des histoires d’un manque d’intérêt plus ou moins prononcé.
Des chapitres entiers semblent ne servir qu’à meubler, alors qu’au début du livre, plusieurs évènements importants de la vie d’Elizabeth sont condensés en un paragraphe, qui ressemblait à un résumé ; j’ai cru que l'héroïne se projetait dans un avenir hypothétique, mais non, pas du tout.


Certains évènements sont recyclés d’anciennes œuvres de De Palma (tout comme Redacted, un de ses films récent, reprenait le concept de Casualties of war) : un homme politique se fait piéger avec des photos compromettantes comme dans Blow out, on a le même twist que dans Obsession, et vers le final un élément de décor présenté plus tôt qui s’avère mortel, tout comme dans Raising Cain et Femme fatale.
Ah et le tournage d’un remake de Vertigo occupe une part de l’intrigue… Sigh.
Autrement, les auteurs provoquent des événements grâce à des comportements saugrenus et idées grotesques : par exemple le sénateur laisse une jeune de 23 ans filmer sa campagne, sans aucun contrôle sur le contenu, alors qu’il apparaît à tous ceux qui suivent les vidéos qu’il la drague en même temps ; plus tard l’homme politique annonce où il sera précisément, tel jour et à telle heure, sans aucune protection.
Mais rien que les comportements sont incompréhensibles, les personnages n’ont pas de contenance, les répliques et la façon d’amener les retournements n’ont aucune subtilité.


Si ce n’est pour signaler la couleur d’une cravate, il n’y a presque aucune description, sauf quand il s’agit de commenter le physique des personnages féminins. Il y a cet automatisme gênant de parler d’un décolleté d’une protagoniste ou de mater le cul d’une autre à CHAQUE apparition d’un personnage féminin, quel qu’il soit.
On savait que De Palma aimait ses actrices, mais ses films n’ont jamais été aussi beaufs que ça… En lisant "Les serpents sont-ils nécessaires", on croirait avoir sous les yeux un vieux roman de gare type SAS :
« Il est accueilli par un spectacle surréaliste au comptoir : une magnifique blonde à tomber par terre. Son tablier jaune empesé peine à contenir ses formes voluptueuses. Pendant un instant, Brock imagine un combat de catch entre ses seins énormes et les coutures tendues de son uniforme Ronald McDonald’s. Sa couille intacte le démange. » (page 11)
« Nick n’arrive pas à déterminer à quoi lui fait penser l’accent d’Elizabeth. La chambre à coucher peut-être ? » (page 55)
Il y a aussi cette scène de drague atterrante qui s’appuie sur des métaphores sur le hot-dog, ou cette scène de sexe décrite dans le moindre détail superflu, allant du soutif Victoria’s secret à la "chatte de premier choix".
J’en oublie qu’une femme a co-écrit ce roman.


Les films de Brian De Palma n’ont pourtant pas de mauvais scripts, évidemment ils brillent surtout par leur réalisation, mais ici, sans les artifices visuels, il ne reste qu’une écriture pauvre et fade.
Les auteurs introduisent de nouveaux personnages tout le temps, pour se donner un style en changeant de point de vue à chaque début de chapitre, même quand ça ne sert à rien du tout : une conférence du sénateur Rogers commence par une description d’un assistant, tout ça pour nous dire qu’il se détache car il est noir, et il ne sert à rien d’autre par la suite.
On croirait que le roman a été écrit par un ado, avec tous les tics du manque d’expérience. Les infos nous sont livrées sans subtilité ni style, les formulations prenant un air désinvolte donnent surtout l’impression que les auteurs n’ont pas eu envie de se casser la tête ; ça se veut comique, mais c’est ridicule : « Un vigile (s’il vous plaît, ne demandez pas comment il est habillé) lui indique la direction du bureau » (page 80).
Et des phrases entre parenthèse comme ça, il y en a tout le temps, pour glisser des remarques qui se veulent fines mais complètement dépourvues de pertinence, pour nous signaler par exemple que tous les hommes politiques ont tendance à avoir un chat dans la gorge, ou que tous les femmes ont telle ou telle manie.


"Les serpents sont-ils nécessaires ?" sent le bâclé, l’inachevé, ou alors la simple flemmardise ; c’est un roman où l’on nous indique que des personnages tiennent une conversation endiablée où ils manient le sarcasme avec brio, plutôt que de prendre la peine de rédiger un tel dialogue.
Le livre n’est sorti qu’en France jusque là, et j’imagine que l’éditeur a dû se précipiter sur l’occasion et ne rien redire sur la qualité du manuscrit délivré, de peur que le grand De Palma aille voir ailleurs.
Il en résulte une œuvre pathétique, dont j’ai même trouvé la lecture gênante par moments. Une fois l’ouvrage refermé, je me suis demandé s’il y avait rien qu’une seule qualité que je puisse lui trouver, et la réponse est non.


Je vais revendre ce navet littéraire au plus vite. Ah non, merde, je l’ai fait dédicacer…

Fry3000
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le 15 juin 2018

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Wykydtron IV

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