Incontournable d'une librairie, Mai 2022


Gagnant du Prix des Libraires du Québec, division 6-11 ans Hors-Québec.


Un coup de cœur pour ce roman jeunesse Intermédiaire, qui amalgame folklore scandinave et mythologie viking, dans un récit hivernal aussi magique que touchant.

Alfred a dix ans et il a toujours connu des hivers glacials et rudes. C'est que depuis une quinzaine d'année, l'Hiver est anormal. Il existe deux Hiver dans cette partie du monde, l'une Petite, l'hiver doux et léger, alors que l'hiver de la Grande est rude et brutal. Depuis une quinzaine d'année, la Petite a disparu, ce qui a rendu la Grande triste et aussi en colère, laissant s'abattre sur les vikings et le peuple Saami de terribles hivers. Alors que se rassemblent les citoyens de son village, Alfred apprend que son oncle Ragnard souhaite entreprendre une expédition en solitaire pour trouver la Petite Hiver. C'était sans compter les paroles de la voyante Frid à Alfred, qui lui confie que s'il part seul, on ne reverras jamais Ragnard. Alfred part donc sur les traces de son oncle, sans se douter qu'il fera la connaissance de créatures magiques, se heurtera à un sortilège lancé par une renarde aux yeux de feu et devra venir en aide à la Petite Hiver.

Dans un premier temps, je ne peux pas passer sous silence la couverture de ce roman, un vrai bijou. Et c'est un travail qui se poursuit dans le roman, avec les illustrations d'inspiration scandinave, dont le dessin me fait penser à la très sympathique BD "Bergère Guerrière", elle aussi inspiré des peuples du Nord européen. J'ai beaucoup apprécié l'apport visuel des illustrations, car de manière générale, on a pas foison de romans sur cette région du monde. Voir les objets, les habitations et les créatures magiques étaient donc bien avisé. Bref, un beau travail sur le visuel, l'objet risque même de gagner le coeur des jeunes lecteurs simplement avec son apparence ( même si je ne soutiens pas du tout cette approche! La couverture ne fait pas le livre!) ah, et la page 111, où Alfred lance Cheveux Violet, était hilarante ( Ce dernier cri "OOOOUIIIIIIIiiiiii" dans un magnifique vol plané. héhé

J'ai apprécié l'histoire, où un duo de soeur est séparé par une tierce personne qui souhaitait s'accaparer l'une des deux, sans égards pour la seconde. Une amitié toxique, dirait-on. Mais bon, quand on voit de qui il s'agit, c'est tout de même pas très surprenant, quand on a une base sur la mythologie viking ( ou d'avoir regarder la franchise des "Thor" et des "Avengers" de Marvel). L'action est fluide, les évènements s'enchainent bien, ça se savoure comme une crème glacée.

Les personnages sont rafraichissants ( sans jeux de mots). Alfred n'est pas le petit héro mignon qu'on voit souvent en littérature intermédiaire, mais plutôt un petit farceur introvertis, qui a parfois des élans mélancoliques et n'aime pas spécialement les gens ou les rassemblements. L'amateur de blagues apprécie le Dieu de la ruse et amateur de chaos Loki, qu'il appelle souvent à l'aide. le personnage de Ragnard, pour sa part, est un des rares transgenre que j'ai pu voir dans la littérature jeunesse, surtout pour les enfants. Femme à la naissance, Ragnard s'est toujours senti "homme" et après s'être renommé, porte désormais la barbe. Guerrier agile au pas léger, c'est une excellent chasseur et il est apprécié de tous. Il faut dire que c'est somme toute crédible pour un viking d'être capable de changer de genre quand on sait que ce peuple était égalitaire sur la question du genre. Avec appuis, nous avons une forgeronne, Mila, et une guerrière émérite, Valka, qui a un bégaiement, ainsi qu'un certain personnage qui est androgyne ( À la fois homme et femme, mais pas en même temps). Dans la représentation des diversités, l'auteur sait y faire. Reste que Ragnard a ma préférence, c'est un personnage courageux, tendre et bienveillant. Il est devenu en quelque sort le père de substitution de notre protagoniste et le rôle qu'on lui donne vers la fin du roman témoigne de sa préciosité en tant que personne.Nous avons aussi l'attachant personnage de Cheveux Violet, un troll, qui a été un guide et un aide précieux pour Albert et Petite Hiver. Particularité dans le pronom, l'auteur emploi un "ul" singulier et un "uls" pluriel pour désigner les trolls, comme s'ils avaient un genre neutre. Enfin, le personnage de Frid, aveugle sage et voyante du village, qui a su ruser contre un ennemi aussi rusé, sans attendre de gloire, présence phare entre notre monde et celui des créatures magiques. C'était en quelque sorte le garde-fou ou le pont entre les différents personnages, à leur insu. Après tout, c'est elle qui a poussé Alfred a partir sur les traces de son oncle.

L'importance des liens est en quelque sorte le thème central du roman. Non seulement entre les deux soeurs Hiver, entre Alfred et Ragnard, c'est aussi entre Alfred et Cheveux Violet, le petit troll qui lui a servi de guide, et des villageois les uns pour les autres. Dans l'histoire, les trolls dérobent des objets, les plus précieux. Pas précieux dans leur sens commercial, mais dans leur sens émotif. L'idée était que le temps que nous passons avec nos proches, le collectif comme affectif, se répercute dans nos objets. Avec cette logique en tête, les trolls ont dérobé les objets précieux des vikings et du peuple Saami, pour apaiser la tristesse et le chagrin de Grande Hiver, dévastée par la solitude. Là est le drame: le matériel ne peut substituer le lien affectif. Il peut très minimalement le remplacer, mais jamais l'égaler. Un constat très pertinent à notre époque surconsommatrice et portée sur le bonheur matériel.

Un autre bon constat sur les liens concerne la notion de profondeur relationnelle. Dans l'histoire, "l'ami" de Petite Hiver lui a jeté un sort pour qu'elle puisse le/la suivre dans ses festivités, sans se soucier du sort de Grande Hiver ou de faire culpabiliser Petite Hiver quand elle découvrirait le pot aux roses. Iel évoque le fait que Grande est "mélancolique", que peut importe à quel point on passe du temps avec elle, elle ne sera jamais pleinement joyeuse. Grande évoque cependant que la présence de petite Hiver est très importante au contraire, car au moins, elle sent que quelqu'un se souci d'elle quand elle a ses périodes tristes. Que le pire d'être seule est le fait qu'on se sent alors important pour personne. de plus, si Grande et petite sont à même de composer avec les faiblesses de l'autre, c'est précisément parce que leur lien est profond. À l'opposé, vivre dans un plaisir continu sans considération pour l'autre, se l'approprier comme une possession ne forgent pas les liens. Et l'ironie, c'est que "l'ami" de Petite Hiver est justement dans cette logique: des relations superficielles, un sentiment de n'avoir de valeur que dans l'utilité et d'être laissé de côté le reste du temps.

Donc la dimension des liens était bien touchante autant qu'elle est pertinente, dans le roman.

Enfin, mention à une petite leçon de vie: Quand c'est au détriment des autres, que ça engendre de la détresse, du chagrin ou de la honte, alors ce n'est PAS un blague. Les blagues, les vrais, font rire et ne porte guère à conséquence.

On aura aussi mention des Dieu d'Asgard, les Ases, dont Loki est le plus fréquemment nommé. On va d'ailleurs le croiser. Un personnage contrasté, que ses mensonges cachent une certaine vulnérabilité et dont la ruse qui fait sa renommé n'est pas volée. Les trolls aussi font parti du folklore des pays scandinaves, mais contrairement à ceux rencontrés dans "La Reine des neiges, de Disney, ceux-ci sont minuscules, chapardeurs, mais bienveillants. Uls sont de pierre et possèdent une force de fourmi, capables de soulever des charges très lourdes. Vous en verrez un sur la couverture, coin droit en bas. le corbeau revient également, ainsi que le renard, deux animaux qui reviennent dans les récits et légendes vikings.

Le peuple "Saami" ( ou "Same") existe bel et bien. Il s'agit d'un peuple autochtone du Nord de la Norvège, de la Suède et de la Finlande. On retrouvera certains de leurs attributs et si on ne les rencontre pas, ils font parti du paysage de l'histoire. Une attention appréciée. Ils semblent en bon terme avec les vikings et leur fête de Yüle se tient conjointement. Petite Hiver a d'ailleurs leur chapeau et leur ceinture colorées traditionnelles.

C'est vraiment un beau roman, dans son sens graphique et narratif. On reconnait là la qualité des romans de la maison École des Loisirs, ils nous ont donner de belles œuvres encore cette année. Ce livre m'aura évoqué la superbe BD "Rêve de renard", de la bédéiste finnoise Minna Sundberg, que je vous invite à regarder de plus près, pour le lectorat adolescents. Je pense que ce petit roman aura une saveur universelle et intemporelle, du genre qu'on saura savourer même dans quelques décennies. Un roman qui aura eu beaucoup d'amour, autant de son auteur que son illustrateur. À mettre joyeusement dans toutes les écoles et les bibliothèques.

Pour un lectorat à partir du second cycle primaire, 8-9 ans.

** Monsieur Jolan C.Bertrand, tout comme son personnage de Ragnard, était une fille qui se savait "homme" en réalité. Il a décidé de prendre le nom d'un personnage viking de son enfance ( Je soupçonne le personnage de Jolan de la série "Thorgal") et parcours le monde entre deux coup de plumes.

Shaynning

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