Ce livre de Gogol représente sa première phase en tant qu'écrivain. L'auteur avait environ 22 ans quand l'œuvre a été publiée. En lisant Les Soirées du hameau, on se plonge donc dans l'univers du Gogol jeune, encore très lié à sa terre natale, l'Ukraine, appelée alors la Petite-Russie. Le livre est composé de deux parties, comptant chacune quatre récits. J'ai lu cette œuvre dans la publication de la Bibliothèque La Pléiade, dans la traduction de Michel Aucouturier. J'aime bien la sensation du livre en cuir avec les pages en papier bible, qui ajoutent à mon avis quelque chose à ces récits pittoresques.
Les ingrédients principaux sont l'humour et la légèreté, le folklore slave, la présence constante du diable et des sorcières, le surnaturel, les effets théâtraux, le comique, le mélange des genres (on passe d'une description réaliste à une apparition surréelle en quelques lignes). L'ambiance m'a rappelé celles des Contes de Russie illustrés par Bilibine, avec davantage d'humour et de rebondissements.
J'aime me poser la question suivante quand je lis un livre : qu'est-ce que cette lecture peut apporter à un lecteur contemporain ? Voici une esquisse de réponse personnelle. Tout d'abord, on peut lire Les Soirées du hameau pour le simple plaisir de se plonger dans une ambiance slave et folklorique, et de se laisser entraîner dans la description des personnages et des foires locales, ainsi que des paysages. Je conseille d'ailleurs de lire ce livre en hiver, lorsque nous aussi avons froid, éventuellement au coin d'un feu... Les saveurs, les odeurs sont enivrantes et on a parfois envie de goûter les boulettes et les beignets à la crème omniprésents dans les différents contes.
Ensuite, je me suis interrogée sur l'identité russe ou ukrainienne de l'auteur et du folklore ici représenté. Vu qu'on entend parler de Russie et d'Ukraine pour des raisons peu agréables ces dernières années, je trouve intéressant de se poser la question de l'identité. Je lisais récemment que les Russes et les Ukrainiens se disputent la « paternité » de Gogol, car cet auteur est né en Ukraine, qui faisait alors partie de l'Empire russe. La question est donc parfois posée en ces termes : peut-on considérer Gogol comme faisant partie de la littérature « russe » ? Je crois qu'un Européen peut lire les Soirées du hameau avec un regard neutre, reconnaissant et appréciant l'identité slave au sens large de cet auteur et du folklore ici représenté. Cette lecture permet de se plonger dans une atmosphère sans prendre parti, afin d'unir au lieu de diviser.
Concernant la construction des contes, certains m'ont paru assez confus et touffus, car les digressions de l'auteur sont nombreuses – c'est aussi ce qui fait le charme de ces récits : on se laisse clairement mener par le bout du nez par Gogol, qui n'a rien à envier aux diables qu'il dépeint... Je me suis parfois perdue dans les personnages et leurs aventures, et j'aurais du mal à raconter avec précision chaque conte. Gogol lui-même a ensuite jugé cette œuvre comme la création d'un débutant, tandis que Pouchkine apprécia ces « tableaux rafraîchissants du tempérament petit-russe ».
Une bonne lecture hivernale pour plonger dans l'univers slave et découvrir Gogol, dont on lira également les œuvres suivantes pour avoir une idée plus complète de l'auteur le plus cinglé de la littérature slave.