Avant d'essayer de résumer le livre, je crois qu'il vaut mieux présenter son auteur tel que l'introduction en brosse le portraît : Ladislav Kima est un étudiant praguois raté féru de lectures saines et légères comme Nieztsche ou Schopenhauer qui a vécu toute sa vie en artiste désargenté n'écrivant que pour lui-même des oeuvres romanesques et/ou philosophiques dont il a brûlé une partie dans une phase de dépression à tendance suicidaire. ça pose un peu le décor.
"Les souffrances du prince Sternenhoch" est une parodie du chef-d'oeuvre de Goethe, mais pas seulement. C'est avant tout un roman fantastique sur un fantôme, avec une veine bouffone, voire scatologico-ordurière.
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Le prince Sternenhoch est un des favoris de l'empereur Guillaume II. A un bal, il rencontre un laideron, Helga, dont il se sent mystérieusement attiré. Il va voir son père, qui l'insulte et l'assure que sa fille est une salope issue du démon et autres propos outranciers qui ponctuent le roman. S. épouse quand même la fille, fort peu enthousiaste. La nuit de noce se passe fort mal, après quoi Helga prend une attitude de plus en plus extravagante, achetant des fauves et vivant nue avec eux dans le parc du château (et autres visions fantasmagoriques du même tonneau). Puis S. apprend qu'elle a un amant, une sorte de belle brute blonde nieztschéenne.
La deuxième partie, centrale, présente le journal de S., qui sombre peu à peu dans la folie. on comprend qu'il a tué son épouse en l'enfermant ligotée (après l'avoir assommée à coups de marteau) dans un donjon, puis après s'être livré sur elle à des pratiques aussi sympathiques que l'ondinisme et la scatophilie forcée. S. fait tuer ses deux Saint-Bernard, qui ont vu le cadavre lorsqu'il retourne le voir 2 mois après. S'ensuit une plongée progressive dans la folie, à mesure que S. subit des apparitions (neuf en tout) de la défunte. Je ne détaillerai pas les extravagances auxquelles se livre le héros, mais c'est toujours très bouffon, bizarre et gênant. Enfin, l'avant-dernière apparition d'Helga lui révèle qu'elle n'était pas morte, qu'elle était sortie par un passage secret et qu'elle a décidé de se faire passer pour un fantôme et de lui raconter des inventions sur l'au-delà pour qu'il se tourmente sur un crime qu'il n'a pas vraiment commis - même si l'intention était là. Mais S. n'est pas sûr que ce soit vrai, qu'il n'a pas rêvé cette hallucination. Cette partie se clôt au moment où il trouve enfin la force de retourner dans le donjon se rendre compte s'il y avait bien un cadavre ou, comme le prétendait Helga, un mannequin de paille.
Le journal de S. se terminant là, la troisième partie extrapole sur le dénouement : alors que ses proches s'apprêtent à l'emmener définitivement à l'asile, S. a un moment d'exaltation pure en retrouvant celle qui est devenue sa bien-aimée dans le donjon. Mais ceux qui le retrouvent le voient couché sur un cadavre depuis longtemps putréfié.
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Il y a aussi tout un sous-texte nieztchéo-schopenhauerien sur l'übermensch ou au contraire le détachement du monde, mais je serais bien en peine de dire qui gagne à la fin.
Un roman étrange et... sans tabou, disons. Je retiens
- un "héros" imbécile, veule, visiblement laid et de mauvaise foi.
- beaucoup de citations drôlissimes mais très crues, du genre : Je suis fou, mais je suis tellement bourré que personne ne s'en rend compte. Le genre de trouvaille qu'on fait au fil de la plume. L'ouvrage ne cherche vraiment pas la beauté classique, ou bien il la pastiche, et donne l'impression d'avoir été écrit souvent dans un état d'ébriété (ou d'exaltation ?) avancé.
- Une figure de sorcière un peu dépassée par les événements, mais pas par les possibilités de gagner de l'argent.
- L'empereur Guillaume II en imbécile autocratique complet, qui sodomise ses courtisans et vomit des vers immondes. S'il avait été publié, nul doute que Klima aurait fini sa vie en prison.
- De nombreux dialogues donnant l'impression que deux fous se parlent. Le héros est à un moment persuadé que le fidèle saint-Bernard qu'il a fait tuer, Eléphant, vient de se réincarner en lui et se met à courir à quatre pattes après la cartomancienne en hurlant "Oua ! Oua ! Je suis Eléphant !".
Un ouvrage étrange et difforme. C'est le deuxième livre de la collection "Minos - La différence" que je lis, et ça me confirme qu'on y trouve des oeuvres pas piquées des vers.