A la croisée de la violence d’un Tarantino et des épopées de Clint Eastwood, Les Spectres de la terre brisée, très cinématographique, emporte l’adhésion par son souffle épique.
Autant le dire tout de suite : Les Spectres de la terre brisée est violent, très violent. Ce n’est pas une violence glauque et malsaine que l’on retrouve dans de nombreux romans policiers (chez Grangé par exemple), mais une violence réaliste, très décrite et qui colle à l’image que chacun se fait du western. Des têtes explosent, des morceaux d’os se logent dans des troncs d’arbre, des estomacs sont perforés… Petit aperçu : « Elle pointa le revolver sur le bas de l’abdomen de l’homme et appuya sur la détente. La poudre explosa, d’un blanc étincelant. Un jet d’urine jaillit de la vessie transpercée d’Ubaldo et il tomba à genoux, geignant comme un chiot. Il ferma ses yeux brillants et des larmes roses coulèrent de sa cavité nasale à nu. Son visage heurta les carreaux en argile ».
La violence, bien sûr, n’est pas institutionnelle mais provient d’individus qui cherchent à se faire justice eux-mêmes. Durant l’été 1902, au Mexique, un père, ses deux fils, un esclave affranchi, un Indien et un ancien criminel s’unissent pour retrouver les deux filles du patriarche, enlevées et que l’on découvre dès le début du livre forcées à se prostituer dans un bordel au cœur des montagnes. A ce groupe épris de vengeance s’ajoute Nathaniel Stromler, un dandy qui servira de taupe pour infiltrer le bordel et récolter les informations nécessaires au sauvetage.
Les Spectres de la terre brisée est, comme le disent certains critiques au Masque et la Plume, un « ouvrage où on ouvre et on ferme des portes », c’est-à-dire un roman où on pourrait se passer de certaines descriptions lourdes : « Dolores regarda l’avant du revolver six coups, fit tourner le barillet, vit deux trous noirs, retourna l’arme, la cassa, jeta les douilles usagées, repéra la cartouchière sous le tabard en fer de Brent, saisit deux balles, les chargea dans les chambres vides et referma l’arme ». Si ce genre de description freine énormément le rythme dans les passages calmes, il a pour avantage de l’accélérer et de rendre l’action très visuelle lors des nombreuses scènes de fusillade. Le rythme impitoyable, cette histoire de vengeance et une violence omniprésente ont conduit Ridley Scott à se pencher sur une adaptation cinématographique.
« Assis sur le rebord de la fenêtre, la silhouette éclairée par le ciel gris maussade, se trouvait John Lawrence Plugford, un homme énorme portant ses cinquante-six ans, une barbe broussailleuse et une salopette grise usée.
– Plus de picole jusqu’à ce qu’on rentre.
La gorge de l’homme semblait pleine de feuilles d’automne sèches.
– J’ai pas bu tant que ça, se défendit Stevie. On est pas là pour s’amuser.
– Je l’sais. »