Incontournable Roman Mars 2024

Je pense qu'on peux affirmer sans trop se tromper que les auteurs ayant donné vie à la sinistre série des "Contes Interdits", romans d'horreur qui réécrivent les contes en version modernes scabreuses et horrifiantes, se tournent maintenant vers la jeunesse. Une excellente idée, me semble-t-il , car l'intérêt pour le genre Épouvante est assurément présent, foi de libraire jeunesse. Mieux encore, il semblerait qu'on s'intéresse aux contes et légendes d'ici. Alors emmitouflez-vous dans votre meilleure couverture chaude et attachez vos tuques, car pour ce roman-ci, le plus effrayant des quatre premiers parus de cette collection sombre, nous nous aventurerons en Mauricie, dans une forêt sublime de jour, mais porteuse d'une sombre vérité historique la nuit, au risque d'y perdre l'esprit.

Max hérite d'un chalet quand son père décède d'une maladie. Situé en Haute-Mauricie, au Nord-Ouest de la Tuque, l'endroit est éloigné et en pleine forêt. N'ayant pas envie de découvrir l'endroit seul, Max emmènes Estelle et Franck, ses cousins plus jeunes, et ce d'autant plus que Richard tenait un discours étrange sur ces lieux, parlant de squelettes en nombre appréciable, de lac hanté et d'artéfacts autochtones. Sur place, ce que les jeunes adultes découvrent est effectivement déconcertant, pour ne pas dire macabre, et Max, avide de réponses, ne semble pas réaliser le péril dans lequel il les place tous les trois.

Comme je le mentionnais dans l'intro, il y a une première fournée de romans dans la collection, avec "Le trou du Diable", "les Sorcières de Beauce", "Les sirènes du golfe" et le présent ouvrage, "Les squelettes du lac des tombeaux". Ce sont tous des petits romans d'environ une centaine de pages dont le design de couverture sombre et leur cadre stylée commun rappelle celui de leur grande sœur "Les Contes Interdits", pour le lectorat adulte. Ils s'inspirent des légendes et histoires de la province du Québec, territoire d'une jeune nation qui s'est bâtie sur celle de nombreuses autres, les premières nations, et qui du fait de son histoire coloniale et de la mainmise terrible de l'Église, n'est pas en reste d'histoires terrifiantes. Il existe sur la 4e de couverture un gradient d'horreur, comme pour la collection Courte Échelle Noire, avec 4 niveaux. On les retrouvent au haut de la 4e de couverture, sous forme de petites têtes de mort sur deux os croisés. Le présent ouvrage est au niveau 3, "Élevé" et en bas de la 4e, vous trouverez les gradient d'horreur des autres livres. La série indique clairement le groupe d'âge tout en bas: "Les Légendes terrifiantes d'ici est un collectif de livres d'horreur destinés à un public de 13 ans et plus", alors il n'est pas possible de prétendre qu'il sont destinés aux plus jeunes. J'apprécie toujours ce genre de transparence, car ainsi, le ou la lectrice peuvent faire un choix de lecture libre et éclairé.

À partir d'ici, il y aura des divulgâches.

J'ai repéré une ou deux "erreurs", cependant. Déjà, la 4e de couverture présente une variation du titre: "les squelettes du Lac DU tombeau" à la place du "DES". Ensuite, à la page 61, on a Estelle qui "hurle, échappe le candélabre, dont toutes les flammes s'éteignent", mais en page 69, "Les trois bougies sont à moitié consumées". Faudrait savoir, elle a ou non le candélabre et est-t-il éteint ou non? Enfin, je ne peux pas m'empêcher de me demander comment le père de Max, Richard, a pu vivre si près du lac, connaitre ses chemins, piquer quelques squelettes au passage, avoir une cabane tout près de ses berges et malgré tout ça, mourir de maladie des années plus tard, alors que les trois jeunes sont condamnés le jour 1? Surtout que le père a vu les rituels, ce qui signifie, on le voit avec les trois jeunes, qu'il était très près des berges. Donc, pourquoi a-t-il été épargné à moult reprises? Est-ce parce qu'il est resté dans son chalet sans chercher à fuir? Mais alors, comment pouvait-il vivre? D'où venait ses ressources vitales? Bref, l'histoire entourant le père ne fait pas sens à mes yeux avec le déroulement et la "logique" de ce que vivent les trois jeunes personnages.

N''empêche que globalement, c'est intriguant cette histoire, qui me rappelle la tournure du roman de Stephen King , chambre 1408, dont on ne pouvait plus sortir car on devenait prisonnier d'une réalité différente, d'une entité malveillante qui s'attaque à l'esprit, en quelque sorte. L'auteur est resté assez fidèle aux éléments retrouvés dans la légende d'origine, avec l'homme brûlé dans une cabane, le chien devenu fou qui attaquait les arbres et courait après sa queue et la légende à vérifier ( Sources: Créatures fantastiques du Québec. 2, Bryan Perro). D'ailleurs, je mentionne que Brian Perro, celui qui semble à l'origine de cette collection, a écrit deux livres sur les créatures fantastiques du Québec, et donc, se retrouve en tant que source d'info pour la collection. Il est toutefois possible de trouver divers informations sur Internet, mais elles sont souvent extraites de sources bibliographiques.

Le récit coule bien, on se laisse facilement entrainé dans cet univers en huis clos, ramené sans arrêt vers les berges du lac truffé d'ossements et de ses habitants sans repos. J'aurais peut-être aimé que l'information sur la mort massive des autochtones, soit la raison de tous ces squelettes en ce lieu, soit moins "garochée" ( jetée rapidement). Les épidémies engendrées par l'arrivée des européens est un réel phénomène historique et qui a causé de grandes souffrances chez nos premières nations, en plus d'être la source de la malédiction entourant le lac aux tombeaux et sa légende, donc j'estime que ça aurait pu être un peu plus central comme information. Néanmoins, il est clair que les défunts sont des autochtones, au moins il n'y a pas d’ambiguïté là-dessus.

Il y a un aspect qui m'intrigue toujours beaucoup dans les romans d'épouvante jeunesse spécifiquement: Jusqu'où l'auteur ou l'autrice va-t-il/elle nous entrainer? On ne peut pas traiter un roman jeunesse comme un roman adulte en raison de l'âge des lecteurs, lié à leur développement psycho-neurologique. Je me demande donc systématiquement où la frontière de l'horreur est tracée dans ces romans. Les romans du niveau intermédiaire, par exemple, font très rarement mourir les personnages et certaines violences, comme la sexuelle, sont absentes de ce groupe d'âge. Ici, nous sommes dans la littérature adolescente, il y a donc des frontières qu'on peut traverser et l'auteur ne se prive pas. Les jeunes personnages ne s'en sortiront pas et leur mort, dont on ne livre pas les détails dans le cas de Max, se solde par une noyade volontaire pour les deux autres, ensorcelés par la magie noire des lieux. Et certaines scènes sont effrayantes, je pense notamment à cette scène plus ou moins "réelle" ( mais réelle pour les deux jeunes qui l'ont vue) où Max se promène tranquillement en étant pourtant immolé. Il était déjà mort, en témoigne les os que sont ses jambes, mais quand même, sur le coup, ça saisi.

Je pense que ça fera bien frissonner les amateurs et amatrices de romans d'horreur du lectorat adolescent, mais je ne le suggère pas aux non-initiés au genre. Peut-être faudrait-il mieux commencer par les romans au niveau 1 avant de s'attaquer au niveau 3? J'ajoute que sa petite taille de moins de 100 pages permet aussi d'aller chercher le lectorat moins habile ou patient en lecture, ou tout simplement les lecteurs qui veulent des histoires expéditives. En même temps, le roman tient à la fois de la légende et du fait divers, c'est donc cohérent qu'il soit court.

Bref! Un bon petit livre efficace et qui met en lumière une vieille légende de la province québécoise, teintée de réalité historique, suffisamment sombre et perturbant pour convenir aux initiés du genre, à mon humble avis.

Pour un lectorat adolescent du premier cycle secondaire, 12-15 ans+

Shaynning

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