L’ouvrage de Ginette Vincendeau est tout simplement passionnant et brillant. Brillant et passionnant par son approche originale, par son érudition et par son écriture claire, simple et dense à la fois. "Les Stars et le star-système en France" s’inscrit dans la tradition des Cultural studies anglo-saxonnes et plus particulièrement dans les Star studies, disciple initiée outre-Atlantique par Richard Dyer (voir son ouvrage "Stars" paru en 1979 et traduit dans la même collection en 2004 sous le titre "Le Star-système hollywoodien, suivi de Marilyn Monroe et la sexualité"). Les Star studies consistent essentiellement à analyser l’impact des acteurs célèbres sur les œuvres dans lesquelles ils jouent mais aussi sur la société en général. Comme l’explique Vincendeau : « Mon but est d’analyser le jeu et le type de personnages joués par les grandes stars du cinéma français, ainsi que la signification de leur persona sur un plan socioculturel tout en prenant en compte l’esthétique des films » (p. 9).
Elle précise ensuite : « Par “star” j’entends des acteurs de premier plan qui ont réussi à construire une persona (voire un “mythe”) fait d’une trilogie : jeu à l’écran, identité en tant qu’individu (telle qu’elle est perçue par les médias) et type de personnage, persona que le public reconnaît et s’attend à retrouver d’un film à l’autre et qui, en retour, détermine les rôles attribués à la star (ou choisie par elle) » (p. 10). Avant d’ajouter : « les stars ont un impact certain sur la culture nationale et parfois mondiale, comme Max Linder, le dandy de la Belle Epoque, Gabin, le prolétaire tragique des années 30, Bardot, l’insolente bombe sexuelle des années 50, de Funès, le petit-bourgeois râleur des années 60, etc… » (p. 11).
Ainsi les Star studies essaient de comprendre pourquoi à un moment donné et dans un pays donné, tel acteur jouant tel type de rôles récurrents parvient à la célébrité. C’est bien sûr une question de talent, mais pas seulement. Car si certains d’entre eux parviennent à un tel degré de popularité qu’ils en deviennent de véritables « icônes », c’est certainement aussi parce que ces acteurs-personnages (autrement dit les « persona » de ces comédiens) répondent précisément à une attente du public. Aussi ne peut-on par exemple comprendre le succès de Gabin dans les années trente qu’à la lumière du contexte socioculturel du front populaire. Il en va de même de celui de Bardot qui coïncide très précisément avec l’émergence de la culture jeune et de la libération des mœurs à la fin des années 50.
Au-delà de l’intérêt social et idéologique de ces analyses, les stars studies nous rappellent aussi combien la « politique des auteurs » a ses limites, en redonnant au rôle de l’acteur la place qui lui est due. Comme le rappelle Vincendeau au sujet de Gabin par exemple : « A partir de La Bandera on peut considérer que Gabin est “l’auteur” de ses films d’un point de vue esthétique et idéologique, car les metteurs en scène et scénaristes avec lesquels il travaille, cherchent une concordance entre sa persona de star et ses personnages. Après la guerre, Gabin sera aussi l’auteur de ses films du point de vue de leur production et de son contrôle sur les équipes avec lesquelles il travaille » (p. 76).
Ainsi, à travers dix portraits de stars remarquablement vivants, documentés et problématisés (Linder, Gabin, Bardot, Moreau, de Funès, Belmondo et Delon, Girardot, Deneuve, Depardieu et Binoche) Ginette Vincendeau brosse un riche tableau du cinéma et de la société française de ce dernier siècle, avec une intelligence rare et un enthousiasme véritablement communicatif.
Régis Dubois