Un beau livre nationaliste...
Contexte : 1444. Skanderbeg, un officier albanais en rupture de ban avec l'Empire ottoman rentre chez lui, s'installe dans la citadelle de Kruja et délivre l'Albanie.
Au moment où le livre commence, l'armée ottomane prend ses quartiers devant Kruja. Il y a le commandant Tursun Pacha, son intendant en chef, son chef des janissaires (Tavdja Tokmahan), le chef des akindjis (Kurdisdji), bien d'autres chefs qui ne feront pas long feu, mais aussi un ingénieur (Sarudja) ; un architecte (Giaour) ; un poète, Sadedin ; un chroniqueur (Mevla Tchelebi). Et aussi les femmes du pacha, des Européennes que ce dernier a choisi d'amener avec lui en campagne, en dépit des superstitions.
La structure du livre alterne les chapitres décrivant les tentatives des Ottomans pour prendre Kruja, et de bref passages à la première personne qui décrivent l'effet sur les insurgés. Bien entendu, la narration oriente le lecteur en faveur des assiégés : l'armée ottomane est une énorme machine inhumaine, qui allie barbarie et moyens modernes (première utilisation des canons, envois de rats pestiférés dans la citadelle...). Si le livre fait penser à certains passages de Salammbô, pour sa précision et sa violence concise mais sauvage, il s'oriente vers la fin vers autre chose. Car Tursun Pacha, qui sait qu'il joue la dernière carte de sa carrière, n'a pas d'alternative que la victoire : il mène une guerre totale, qui préfigure un peu les guerres modernes d'anéantissement (Kadaré le suggère avec un certain sens de la nuance, même si le personnage du médecin est assez caricatural).
Le fond est assez nationaliste : les Albanais représentent la liberté, et l'empire ottoman est comparé implicitement à l'URSS, qui faisait pression sur l'Albanie non alignée de l'époque du roman. Toutefois Kadaré est intelligent : au lieu d'héroïser ses personnages, il ne montre pas une seule fois Skanderberg, le héros de la résistance, et ne donne que des flashs sur la vie à l'intérieur de Kruja. On ne mesure donc la grandeur des Albanais qu'aux effets que produisent leur résistance sur les Ottomans de plus en plus abattus. Bien sûr, ce point de vue ne pouvait être complètement soutenu dans un pays qui est désormais à dominante musulmane. C'est pourquoi Kadaré place dans la bouche de l'intendant l'idée que même si la campagne de Tursun Pacha échoue, d'autres viendront en plus grand nombre après.
En tant que roman sur l'identité albanaise, "Les tambours de la pluie" n'est pas le livre le plus intéressant de Kadaré. En tant que récit de siège, c'est un très bon roman d'action, avec tous les attendus du genre, mais que l'auteur sait reprendre de manière prenante. C'est le signe d'un art consommé.