Amatrice des univers "ténébreux sympathiques" , tel que Fingus Malister, Amelia Fang, Octave le zombis ou encore Dark Lord, j'ai donc moult exemples de romans d'aventure teintés d'occulte, d'humour référentiel et de codes esthétiques et sociaux inversées. Malheureusement, le premier tome d'Horrific Jolie, supposé être dans le registre humoristique est incohérent, est mal fignolé et ses personnages sont unidimensionnels.



Horrific Jolie vient de tacher de manière irréversible la moquette flambant neuve de l'appartement de son beau-père en voulant invoquer le Diable et loin de s'en formaliser, trouve le moyen de leur reprocher de ne pas l'avoir choisie noire. Punie par un retrait de ses écrans, Horrific finit quand même par récupérer son cellulaire et grâce à sa planche ouija, à laquelle elle prête une foi surprenamment solide, elle demande l'aide du Diable pour nettoyer la fichue moquette. Cela dit, le Diable ne joue pas franc jeu et décide d'enlever André, le petit frère d'Horrific pour des raisons nébuleuses. Qu'à cela ne tienne,, la jeune amatrice de fantômes et d'Occulte décide d'aller trouver le Diable , avec son père comme adulte accompagnateur.




Le premier point qui fait mal est l'apparition du fantastique dans le roman. D'ordinaire, pour qu'un personnage ne réagissent pas à l'apparition d'éléments magiques, il faut être dans un monde Fantasy, où la magie est admise et s'inscrit dans la normalité. Or, ici, Horrific est une humaine dans un monde humain, qui certes affectionne les fantômes, zombis et autres créatures de l'occulte, mais elle devrait en principe réagir avec surprise quand elle découvre tout un monde de démon, sorcière, magie et autres évènements surnaturels. Pourtant, elle réagit comme si rien de tout ce qui lui arrive est si bizarre que ça. C'est bizarre , justement. Et comme Horrific réagit déjà bizarrement à tout, ça ne l'aide pas en terme de crédibilité. Au début du roman, elle démontre une très faible empathie, une légèreté un peu arrogante face à ses propres bêtises et se montre assez inutilement détestable. Être gothique et aimer les thématiques horreur ne rend pas forcément mesquins, insensible et égoïste, mais c'est ce qu'est Horrific.



Et elle aussi un peu stupide par moment, comme lors de sa rencontre avec le ( oh, non!) beau et ténébreux démon qui porte presque un surnom de toilette ( oui, WC est plus drôle que WD, je me suis permit de changer ce détail dans ma lecture, parce qu'il m'insupportait ce personnage). Quand il lui sert l'excuse d'être "à son service" et que Horrific ne demande même pas "qui" lui a demander de la surveiller exactement, j'étais découragé. Partie la rebelle en noir, bonjour la midinette à sauver qui parle beaucoup trop. WD est, j'imagine, supposé être un personnage mystérieux, mais je suis navrée, c'était écrit dans le ciel qu'il était méchant ce personnage. Primo, ses "parents" avaient eux aussi des réactions décalées, voir inappropriées. Secundo, il a des allergies en rentrant dans une église. Tertio, ses ailes sont noires ( comme les anges déchus, non?) et finalement, quel sorte de démon irait surveiller la fille dont le Diable lui-même souhaite l'âme si ce n'est pour s'assurer qu'elle ne galope pas trop loin? Et il est aussi irritant qu'un chandail en laine. Bref.



Ce qui m'étonne aussi de notre personnage principal est que si elle entre dans ces versions modernes à la Mercredi Adams, cette dernière avait un cadre et un contexte qui se prêtait au décalage de son personnage par rapport aux autres. D'ailleurs, le personnage de Mercedi n'était pas inutilement mesquine, elle avait simplement des codes différents, en phase avec ceux décalés de sa famille. Horrific est une fille ordinaire de la classe moyenne ordinaire, mais avec un engouement pour les trucs gothiques, donc si son intérêt pour l'occulte et les films d'horreur est compréhensible, son arrogance, sa sournoiserie et son manque d'empathie semble sortir de nul part. Dans les autres romans "Ténébreux sympathiques", la cohérence venait du cadre et du contexte, alors qu'ici, ni l'un ni l'autre ne vient supporter son personnage. Du coup, comment est-ce qu'on s'attache à un personnage "ordinaire" qui se comporte comme une canaille?




De manière générale, les réactions des personnages ne collaient pas bien au contexte, et les répliques d'Horrific comme de WD étaient plus affligeantes que divertissantes. L'humour se voulait nonchalant, mais au final, il était surtout arrogant ou juste de trop. Horrific porte bien son nom. D'ailleurs, je n'ai pas saisi la phrase du début quand elle spécifie "et j'ai décidé de rester une fille plutôt que de devenir un garçon". Quoi? J'ai trouvé ce détail dérangeant, parce que les véritables enfants transgenres ne changent pas d'idée de façon si légère, comme on choisit une couleur de mitaine. Ça m'a surtout donné l'impression d'être placé là comme "un truc à la mode chez les jeunes", mais changer de genre n'est pas une mode, peu s'en faut. Surtout, que ça sort de nul part et ne colle à aucun autre éléments à venir.




Le Diable est superbement décevant. On est loin d'un personnage complexe et enjôleur comme le sont généralement les nombreuses déclinaisons de Samaël, ange déchu et grand patron des enfers. Non, ici, il est même assez con et très fade. J'ai trouvé invraisemblable qu'il ait élaboré une aussi énorme et foireuse stratégie dans le but de prendre le corps d'Horrific pour "transformer les enfants en asticots et réduire le monde en cendres". Hein? Je passe complètement à côté de ce genre de ligne, parce que 1 - Quel plan sans but digne d'une mégalomanie à la Trump. Vous vous me dire que le PDG des Enfers.Inc va détruire le monde juste en prenant le corps d'une ado pas très vite sur ses skis? Sérieux? Et pas pour un grand plan machiavélique, non, pour "transformer les enfants en verres", comme ça, un petit plaisir facile un dimanche matin, pour se gâter. Non, mais c'est n'importe quoi.




Et comme le Diable a l'intelligence d'un personnage du "Coeur a ses raisons" ( ou de tout autre satyre de série-savon américaine), il s'est bien sur fait roulé dans la farine par cette préado vêtue de noir et ses fantômes de célébrités arrachés au démon qui a tenté LUI de la rouler ELLE dans la farine. Et quelque part dans tout ce gluten, on retrouve le papa qui a le pire TDA/H que j'ai jamais vu et qui ne sert qu'à encaisser les nombreuses vannes gratuites de son ado presque plus désagréable que Lucifer lui-même. Je comprend le Diable de ne plus jamais vouloir avoir affaire à Horrific, je vais faire de même.



Blague à part, j'ai eu beaucoup de misère à ne pas comparer cette histoire à un lendemain de veille, dont les bribes vaporeuses de souvenir sont détournées par les fantaisies inopinées d'un cerveau éthyliquement intoxiqué.Du moins, je me fis à ce que j'ai entendu de la part de gens saouls. Certains pourraient dire que c'est un univers absurde, mais pour en avoir lus beaucoup des romans avec ce type d'humour, celui-ci me semblait "trop sérieux" pour être véritablement absurde. Elle trouve les différents personnages beaucoup trop facilement, réussit des épreuves à coup de chance insolente et fait confiance aux mauvais personnages alors que toute personne normale n'aurait pas fait confiance. Trouver le Diable dans une église, c'est sérieux comme piste? Il y a aussi ce passage vraiment étrange où durant des pages, WD essai d'éluder l'attitude affectivement déconnecté de ses parents...avant de finalement admettre que ce ne sont pas ses parents. Donc, côté scénarios, c'était juste bizarre et décalé, mais pas dans un sens amusant.



Autre problème plus dans l'écriture cette fois, il y a beaucoup de dialogues, mais s'en est étourdissant et parfois carrément mélangeant. Il manque des descriptions et il y a peu ou pas d'émotions, ce qui rend les personnages déjà très clichés encore plus plats.




Ah oui, les personnages adultes sont désespérément andouilles. Horrific se donne l'image d'une fille rusée à la réplique spirituelle ( le jeu de mot!), mais quand on évolue dans un monde où un beau-père pleure sa moquette, un Diable a des plans insipides, un père qui a l'efficacité cérébrale d'un poisson rouge, des fantômes à la limite de l'insupportable, et une mère est presque accessoire (dont j'ai eu pitié plus d'une fois d'avoir une ado qui se trouve drôle sans l'être), franchement, ça n'a rien de difficile. Je ne me suis attachée à aucun personnages et j'étais même soulagée que certains disparaissent.



Donc, je sors très déçue de cette lecture où je n'ai pas trouvé grand chose à dire de positif, convaincue qu'il existe de bien meilleures romans dans ce répertoire. Ce n'est pas parce qu'on fait un roman humoristique que ce doit être simpliste et ce n'est pas parce qu'on cré un univers magique qu'il faut oublier la vraisemblance et la cohérence. Ici, on a juste une bande de personnages excités qui courent en tout sens en se jetant des idées délirantes à la tête, tout ça pour une moquette. Je reconnais là le style sensationnaliste déjanté de certains auteurs anglais ou américains, mais si certains font sourire, celui-ci ne m'a inspiré que des soupirs et des maux de têtes.



Pour un lectorat intermédiaire, du 2e cycle primaire, 8-9 ans+

Créée

le 5 févr. 2025

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Shaynning

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