Pour sa deuxième participation aux Défis Fantastiques, Andrew Chapman fait à nouveau le choix de la science-fiction. Dieu merci, le résultat est nettement plus appréciable que le piteux Mercenaire de l'Espace, mais tout n'est pas rose pour autant…
Les Trafiquants de Kelter choisit un sujet pour le moins osé, puisqu'on incarne un inspecteur des stups chargé de lutter contre un réseau clandestin de trafiquants de drogue. Voilà qui détonne pas mal au milieu des innocentes promenades dans les bois que nous avait servi jusqu'ici Ian Livingstone et compagnie ! Pour autant, on ne croisera pas de junkies ni de dealers dans cette aventure somme toute très proprette : le trafic de Satophil-D n'est qu'un prétexte et aurait tout aussi bien pu être remplacée par du trafic d'armes, de la traite des blanches ou de la contrebande d'oursons en guimauve. Saluons tout de même l'effort, d'autant que Chapman joue le jeu en faisant faire du vrai boulot d'enquêteur à son héros : avancer dans l'enquête nécessite d'interroger des gens, d'essayer de les filer, de glisser des pots-de-vins à des indics potentiels, et autres activités dignes d'un commissaire Moulin de l'espace.
(Je coche la case « explique un truc des années 1980 en le comparant à un truc des années 1990 » et je continue.)
Les investigations restent tout de même plutôt rudimentaires, d'autant que notre flic n'est pas franchement très doué dans son métier. Ce n'est pas dramatique quand c'est l'occasion de scènes d'action trépidantes, dans la droite lignée d'un James Bond (une poursuite en voiture tendue avec des choix stratégiques se détache du lot), mais ça le devient quand il se comporte comme un parfait imbécile. Dans l'un des paragraphes les plus mémorables du livre, le héros est ainsi passé à tabac par des sbires du cartel après une tentative d'humour aussi déplacée qu'absurde de sa part. Enfin, malgré sa grande naïveté et l'absence de personnages secondaires vraiment mémorables, cette partie de l'aventure reste tout de même amusante à lire, surtout grâce à la belle variété de chemins qu'elle offre. Elle m'a personnellement beaucoup fait penser à un Choose Your Own Adventure, cette série de livres-jeux sans règles qui s'adressait à un public un peu plus jeune que les Défis Fantastiques.
Là où le bât blesse, c'est une fois l'enquête terminée, lorsqu'il s'agit d'infiltrer la base secrète des trafiquants… qui n'est qu'un bon vieux donjon des familles ! Des choix gauche-droite en veux-tu en voilà, des monstres placés au petit bonheur la chance, des énigmes à la con à base de boutons à presser qui n'ont d'autre but que de gonfler artificiellement le bouquin (et son lecteur), le tout dans des couloirs sans vie où on s'emmerde à en crever (les fades illustrations de Nik Spender n'aident pas). C'est presque surprenant que les trafiquants ne se bourrent pas eux-mêmes de Satophil-D jusqu'aux yeux pour oublier qu'ils sont forcés de bosser dans cet endroit oublié des dieux. Et après une telle débâcle, qui s'étonnera que le paragraphe final fasse cinq lignes ? C'est toujours deux de mieux que dans le Mercenaire de l'Espace, vous me direz. (Pour être honnête, il y a deux bonnes fins et celle qui ne se trouve pas au §400 est plus longue… mais guère plus excitante.)
Quelle tristesse que le bouquin se termine là-dessus ! C'est comme si vous aviez fait un bon repas dans un petit resto qui ne payait pas de mine et qu'en guise de dessert le serveur vous chiait dans l'assiette. Je vais m'efforcer de ne retenir de ce livre que sa première partie, qui témoigne de progrès nets par rapport au Mercenaire de l'Espace et d'une volonté affichée de sortir un peu du moule « aventuresque » de la série. En cela, Chapman se montre un bien meilleur écrivain que le roi du statu quo Ian Livingstone.
[Cette critique a failli s'intituler « Tant que Satophil pas la chiasse ». Je ne suis pas fâché d'avoir trouvé autre chose.]