D'où m'est venue cette passion précoce pour les univers mystérieux et troubles, pour les contes et légendes, pour l'héroïc-fantasy, pour le fantastique et l'épouvante, pour les dinosaures, dragons, gremlins et autres créatures en tout genre ? Il y eu les doigts magiques de Willis O'Brien qui donnèrent vie sous mes yeux ébahit à un gorille majestueux de la taille d'une maison. Il y eu une créature aquatique en liberté qui hantait les eaux d'habitude si tranquille d'une cité balnéaire. Il y eu ces affiches évocatrices qui s'offraient à mon regard mi-fasciné mi-effrayé dans les couloirs du cinéma. Il y eu également un immense diable rouge aux larges cornes d'ébène et à la voix sépulcrale répondant au doux nom de Darkness. Il y eu bien entendu les dinosaures de mes tontons Stan, Phil et Steven. Mais avant tout cela il y eu bien autre chose. Quelque chose que je ne peux situer exactement dans le temps. Quelque chose qui me renvoi à la maternelle. Une sorte de Madeleine de Proust intitulée "Les trois brigands".
Non pas que le livre de Tomi Ungerer baigne dans l'horreur ou le fantastique, loin de là. Il n'y a aucun monstre, il n'y a aucun croquemitaine et encore moins de dinosaure. Il y a encore mieux aux yeux du minimoy plein de pipi que j'étais. Il y a une couverture noire et bleue sur laquelle trois hommes dont on ne distingue que le regard perçant me regardent. Qui me sondent. Qui savent sûrement que c'est moi qui ai avalé toute la pâte à modeler. Ces hommes sont les trois brigands du titre. Des bandits de grand chemin qui vivent pour le crime. Qui n'existent que pour rançonner les pauvres voyageurs égarés. Qui sont équipés d'un tromblon, d'un souffle-poivre et d'une grande hache rouge. Des êtres sans pitié qui pourtant vont s'attendrir devant les yeux ronds d'une petite fille. Qui vont changer et faire le bien pour elle.
Dans "Les trois brigands" il y a un graphisme magnifique, tout en ombres menaçantes. Une beauté formelle dont le pouvoir est bien plus puissant que les mots. "Les trois brigands" aurait très bien pu être dénué de la moindre lettre, de la moindre syllabe, de la moindre phrase. "Les trois brigands" est une des raisons qui fait que j'ai envie d'avoir à mon tour des enfants, qui fait que je me languit de voir l'émerveillement et la fascination dans leurs prunelles. "Les trois brigands" est une merveille. Tout simplement.