Sur plus de sept cent cinquante pages, Les Vainqueurs raconte l'histoire évoluant sur trois générations d'une famille originaire du Helgeland, région située dans le nord de la Norvège.
Tout commence vers la fin des années 1920, avec un acte de vandalisme où le fils d'un pêcheur, inconscient des conséquences qui ne seront pas minimes des suites qu'aura son acte, fait exploser un rocher avec un bâton de dynamite dérobé à son père qui, lui-même, a dérobé auparavant sur un lieu de travail.
Divisé en deux parties qui s'étalent sur plus de cinquante années dans une société norvégienne qui mute, le livre de Roy Jacobsen (le premier personnellement lu de lui), on suit d'abord l'histoire de Marta, contrainte de s'exiler de son île avec une de ses sœurs qui la rejoindra plus tard, par décision de son père ne pouvant plus assumer de nourrir la famille nombreuse croulant sous les dettes dans une nature souvent rude sous cette latitude nordique. Marta s'installe comme domestique dans une famille d'un riche avocat, dans une Oslo où elle traversera les tumultes historiques d'avant, pendant et après la seconde guerre mondiale avec les évènements politiques internes que ça comprend. Ça peut être long, mais c'est loin d'être inintéressant.
C'est cependant dans la seconde partie que le plaisir de lire s'est intensifié, partie attribuée au petit Rogern, un des trois fils de Marta et petit dernier auquel on peut s'identifier de la fratrie. Vivant avec les siens dans un quartier périphérique d'Oslo, on lit les points de vue de ce petit frère qui grandit sur le monde mouvant qui l'entoure, avec ses frangins et sa bande de potes, mûrit et s'émancipe des années 1950 jusqu'aux années 1970 et 1980, au sein d'une famille unie où les membres connaissent des crises, des remises en question existentielles et politiques entre le monde du travail et le monde scolaire, amenant parfois à des tensions internes entre les générations de parents et de leurs enfants. Une famille unie qui n'oublie pas d'où elle vient, faisant route vers le Helgeland pour des vacances d'été chez le grand-père, Johan, le père de Marta. J'en oublie presque d'évoquer les oncles, tantes et cousinades.
La période d'adolescence de Rogern et de ses deux frères qui l'influencent a été délicieuse a lire, avec ses périodes d'émois amoureux, de fantasmes érotiques, de mauvais chemins pris et d'héroïsme sportif ainsi que les découvertes musicales avec l'arrivée du rock de la fin des années 1960 et le début de la décennie suivante, notamment avec un passage adoré sur les Doors.
Les Vainqueurs a cette réussite de nous attacher à une famille nombreuse évoluant et s'adaptant, sur le chemin temporel, de la vie pauvre et rurale à celle citadine et plus confortable dans une société norvégienne en constante évolution appréciable ou contestable aux yeux des nombreux personnages qui peuplent ce livre.