"Ce pont vaut-il le prix d'un visage écrasé ?"demande un personnage de "Vol de nuit" de Saint-Exupéry. Le visage d'un ouvrier blessé au pied d'un pont en construction. Dans le roman de Marin Ledun, dont l'action se situe en 2009, les "visages écrasés" sont les employés de la plateforme d'une entreprise de téléphonie.
Le forfait téléphonique au tarif le plus bas possible justifie-t-il la souffrance qui, de dépression en dépression, les conduit jusqu'au suicide ? Avec ce roman (très) noir, c'est la question que pose Marin Ledun, ancien titulaire d'un poste à responsabilité à France Télécom.
La narratrice, le docteur Carole Matthieu, est médecin du travail ; après à peine quelques pages, elle nous apprend qu'elle a tiré une balle dans la tête d'un patient qu'elle ne parvenait pas à soigner. "Un acte médical. En même temps qu'un soulagement." Car Carole Matthieu est malade de la souffrance de ses patients et elle nous fait partager ses tourments les plus intimes.
Même si une enquête suit ce meurtre et qu'un suspect est interpellé, nous n'avons pas affaire à un polar mais à un roman noir sur la gestion des "ressources humaines" dans une entreprise déshumanisée.
Lecture marquante que celle de ce roman à la portée documentaire indéniable puisqu'il fait écho à la "crise des suicides" qu'a connue France Télécom durant la période 2006-2011.