"L'art des vers est l'alchimie qui transforme en beautés les faiblesses"
C'est lui qui l'a dit. C'est en tout cas par une petite méditation sur la poésie, la rime, et tout le tralala que commence Les Yeux d'Elsa. Aragon expose sa vision de ladite poésie en tant que transgression des règles établies, réinvention du langage à partir de l'imitation - exposé qu'il achève dans l'appendice de l'oeuvre.
Et puis entre la préface (nommée "Arma Virumque Cano") et l'appendice, il y a évidemment les poèmes. Le premier donne son nom au titre. Puis une série de poèmes intitulée Les Nuits, d'autres épars à tendance antique, une autre intitulée Les Plaintes, une autre sur Elsa...
La poésie d'Aragon, on peut le découvrir facilement, est riche de jeux sur les mots, les assonances et allitérations, les rimes, tout en étant extrêmement belle. J'ai en tête quelques vers particulièrement facétieux. Par exemple, dans "Les Yeux d'Elsa" :
"Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure".
Et je ne sais pas si vous le ressentez comme moi, mais je vois, j'entends la brisure, la fin du vers est brutale, cassante, au milieu de cette transparence bleutée. Je fus farouchement impressionnée.
D'autres vers sont intrigants. Ainsi, dans "La Nuit en plein midi" :
"Sous les mimosas noirs un feuillage de lait
Donne aux jardins fardés leur éclat de salade"
C'est à la fois complètement improbable, harmonieux, compréhensible, audacieux. Enfin ça m'a touchée, le coup de la salade.
D'autres jeux de mots sur les sonorités dans "Fêtes galantes" par exemple...
Bref, j'ai plutôt pas mal apprécié. Le tout est un savant équilibre entre beauté et ode à la beauté de la fameuse Elsa, sans tomber dans un écoeurant excès de lyrisme, et entre humour et légèreté. Entre mythes et petites histoires. Entre amour et... On m'aura comprise.
Les Yeux d'Elsa, c'est aussi un court, très court essai sur la poésie, sa déconstruction, l'importance des rimes (laquelle n'est pas selon lui l'essence de la poésie), et ça ne peut qu'ajouter à l'intérêt de l'oeuvre sans l'alourdir. A lire, donc.