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Comme la quatrième de couverture le résume bien, impossible de présenter Les Yeux jaunes des crocodiles en un seul fil ; mais on peut aisément définir un sujet sur lequel se fonde les autres, un sujet prétexte. Les personnages appartiennent en effet à différentes classes sociales, et dressent ensemble un tableau complet des rapports humains autour de la question de l’argent. Il s’agit là du thème central, du point de départ, le déclencheur du premier mensonge, des premières disputes, avant que les intrigues et les personnages ne s’approfondissent.
Le roman raconte les histoires d’une famille ; une mère, un beau-père, deux sœurs, leurs enfants. Un même arbre autour duquel viennent se nouer d’autres relations, des voisin.es, des collègues, des amant.es, des ami.es. L’effet omniscient du récit se crée par le choix d’une dizaine de personnages principaux, et tout autant de points de vue. En suivant le parcours de chacun d’eux, Les Yeux jaunes des crocodiles offre un ensemble d'histoires de famille, d’amour, d’amitié, d’argent et de classe sociale, de rapport à soi, de mensonges et de secrets, … C’est aussi une œuvre majoritairement portée par des voix féminines, et qui interroge et défend la place de la femme dans une société ultra exigeante en terme de réussite, d’acceptation sociale, d’apparence. Il est ainsi beaucoup question de rapport femme-homme, d’émancipation, d’individualité. C’est peut-être là le cœur des thématiques : comment construire et affirmer sa personnalité dans une société qui pousse au conformisme et à l’individualisme ? Le récit joue des frontières entre altruisme, amour de soi, et égoïsme, et de là s’invente et se réinvente les relations entre les personnages, qui sont toustes profondément humains dans leurs imperfections.
Pour terminer avec ce qui saute aux yeux dès le premier paragraphe, l'autrice dispose d'un style très marqué et redoutablement efficace. Katherine Pancol manie avec beaucoup de subtilité et de justesse le discours indirect libre : il s’agit d’un type de parole rapportée permet de rester dans la continuité de la narration, tout en faisant entendre les paroles de quelqu’un ou en rapportant ses pensées – ici il s’agit surtout de pensées. Ainsi, elle crée dans son texte un va et vient très fluide entre l’intériorité du personnage et la narration. Aucune description n’est objective, chaque intrigue est portée par un personnage, et l’écriture s’adapte à celui-ci. La manière de percevoir l’environnement et le récit change en fonction de qui raconte, le ton, le langage, les expressions sont propres à chacun. Les Yeux jaunes des crocodiles est une mosaïque de flux de conscience, qui nous entraîne au cœur de l’intimité des personnages. L’attachement et l’identification sont multiples et complexes, et rapproche le roman d’une série textuelle de tranches de vie, où la fin ouverte est autant remplie de possibilités que tout ce qu’elle laisse derrière elle, donnant l’impression que l’histoire n’est pas finie, et qu’en tournant la page une nouvelle intrigue commencera.