Une très bonne surprise, ce roman se lit très facilement, on y prend même goût. La question qui pose problème est la nature de l'oeuvre : est-ce un simple amoncellement d'essais d'économie, de sociologie et de philosophie sur le moeurs du XVIIIème ou bien est-ce réellement un roman ? Je penche réellement pour la seconde, puisque l'auteur fait l'effort de nouer une intrigue fictionnelle pour mieux transporter le lecteur dans un cadre socio-historique qui lui est étranger. En effet, n'est-ce pas le mérite de la fiction de permettre de ressentir, au travers des yeux du héros -ici, Usbek, riche Perse- des réalités qui lui sont méconnues ? Je trouve que le procédé fonctionne bien, même si en effet, dans le développement central du roman, nous perdons l'intrigue fictionnelle pour nous approcher d'un texte d'essence plus "philosophique".
Ensuite, l'idée de "tirer le portrait" de la société parisienne du début du siècle grâce au procédé de la "révolution copernicienne" du regard de deux persans est excellente. D'ailleurs, Mendoza reprendra ce procédé pour Sans nouvelles de Gurbs. En effet, cela fonctionne parfaitement, car nous regardons comme eux les normes, attitudes, modes parisiennes avec des lunettes persanes. Or, l'étonnement est le début de toute philosophie, et réussir à se détacher et à s'étonner de nos modes permet de mieux les penser/dépasser. J'ai personnellement adoré le portrait qu'il fait des jésuites et des casuistes, où encore des salons mondains et des deux "bels esprits" sans esprit qui allient leurs amours propre pour être applaudis par les rires ! Montesquieu peint avec brio l'homme français du 18ème, qui se veut raison mais n'est que passion.
De plus, son style est souple, bien tourné et incisif. Il y a des résonances raciniennes dans le rythme et les tournures des phrases, mais c'est une langue déjà plus souple, plus libre qui peut frapper par sa puissance ironique. Le seul reproche que j'aurais à faire est un aspect légèrement "surfait" et factice dans les lettres des femmes du harem. En effet, elles couchent sur le papier leurs sentiments comme une femme européenne le ferait. Or, c'est une vision légèrement auto-centré de l'amour, et il a là un défaut de justesse. Comment aimaient les femmes perses au XVIIIème ? D'ailleurs, le dénouement est difficile à avaler, en effet, on n'y croit pas vraiment, et ce sûrement car les femmes des harems n'ont pas été assez travaillées dans l'ouvrage.
Enfin, les essais philosophiques sur l'histoire et la grandeurs des nations m'a énormément plu. Le portrait de John LAW est très piquant et montre toute la maîtrise de Montesquieu dans l'art de la satire.